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« Nous vivions en paix. Messieurs, au milieu de nos esclaves. Un gouvernement paternel avait adouci depuis des années l’état des nègres, et nous osons dire que des millions d’ Européens que tous les besoins assiègent, que toutes les misères poursuivent, recueillent moins de douceurs que ceux qu’on vous peignait et qu’on peignait au monde entier comme chargés de chaînes, expirant dans un long supplice. La situation des noirs en Afrique, sans propriétés, sans existence politique, sans existence civile, incessamment les jouets des fureurs imbéciles des tyrans qui partagent cette vaste et barbare contrée, est changée dans nos colonies en une condition supportable et douce. Ils n’avaient rien perdu, car la liberté dont ils ne jouissaient pas n’est pas encore une plante qui ait porté des fruits dans leur terre natale ; et quoi qu’en puisse dire l’esprit de parti, quelques fictions qu’on puisse inventer, on ne persuadera jamais aux hommes instruits que les nègres d’Afrique jouissent d’une condition libre.

« Le dernier des voyageurs qui ont visité une partie, presque inconnue jusqu’à présent de cet immense pays, n’a écrit dans son long et intéressant voyage qu’une histoire de sang et de fureur. Les hommes qui habitent l’Abyssinie, la Nubie, les Gallas et les Fonget, depuis les bords de l’Océan Indien jusqu’aux frontières de l’Égypte, semblent disputer de barbarie et de férocité aux hyènes et aux tigres que la nature y a fait naître. L’esclavage y est un titre d’honneur et la vie, dans ce terrible climat, est un bien qu’aucune loi ne protège et qu’un despote sanguinaire tient dans ses mains.

« Qu’un homme sensible et instruit compare le déplorable état des hommes en Afrique avec la condition douce et modérée dont ils jouissent dans nos colonies ; qu’il écarte les déclamations, les tableaux qu’une fausse philosophie se plaît à tracer bien plus pour s’acquérir un nom que pour venger l’humanité ; qu’il se rappelle le régime qui gouvernait nos nègres, avant qu’on les eût égarés, rendus nos ennemis ; à l’abri de tous les besoins de la vie, entourés d’une aisance inconnue dans la plupart des campagnes d’Europe, certains de la jouissance de leur propriété (car ils en avaient une et elle était sacrée,) soignés dans leurs maladies avec une dépense et une attention qu’on chercherait vainement dans les hôpitaux si vantés de l’Angleterre ; protégés, respectés dans les infirmités de l’âge ; en paix avec leurs enfants, leur famille, leurs affections ; assujettis à un travail calculé sur les forces de chaque individu, parce qu’on classait les individus et les travaux, et que l’intérêt, au défaut de l’humanité, aurait prescrit de s’occuper de la conservation des hommes ; affranchis quand ils avaient rendu quelques services importants : tel était le tableau vrai et non embelli du gouvernement de nos nègres, et ce gouvernement domestique se perfectionnait depuis dix ans surtout, avec une recherche dont vous ne trouverez aucun modèle en Europe.

« L’attachement le plus sincère liait le maître et les esclaves ; nous dor-