Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/212

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Il n’y a pas d’excuse, et il n’y aura pas d’autre sanction possible que l’échafaud. Un ambassadeur français m’a raconté que le prince Lobanof, qui fut ministre des Affaires étrangères de Russie, avait écrit sur la Révolution une courte étude où, jugeant les événements et les hommes en aristocrate absolutiste, mais en patriote, il disait : « Les hommes qui firent le 14 juillet étaient des rebelles et ils devaient être pendus ; mais le roi a trahi son peuple et il devait être guillotiné. »

La guerre déclarée le 20 avril ne donnera pas lieu, tout de suite, à des événements décisifs, à des rencontres mémorables ; nous pouvons donc suspendre un moment la marche du récit pour nous demander quel est, en 1702, l’état économique et social de la France, quelles sont les tendances, les idées, les passions des diverses classes. Il faut savoir quel est le minerai qui va être jeté dans la fournaise de la guerre.

LE MOUVEMENT ÉCONOMIQUE ET SOCIAL EN 1792

Ce n’est pas, je l’ai déjà dit et démontré, une France appauvrie et comme anémiée par le ralentissement de l’activité économique, qui va livrer bataille à l’Europe. Au contraire, grande fut dans l’année 1792 l’activité des échanges et de la production. Pourtant la France est menacée dans son commerce, dès la fin de 1791, par les troubles des colonies ; à Saint-Domingue, comme nous l’avons vu, un terrible soulèvement des noirs, secondés par une partie des mulâtres, avait répondu à la politique incertaine de la Constituante, menée par la faction égoïste et avide des colons blancs dont Barnave, les Lameth et le club de l’hôtel Massiac furent les représentants.

C’est le 27 octobre 1791 que la Législative fut saisie de la question par des lettres que lui communiqua François de Neufchâteau. Elles annonçaient une révolte des noirs. Et aussitôt le parti modéré, le parti conservateur, chercha à accabler les démocrates. Ce sont eux, disait-on, qui, par leurs prédications insensées, par les idées d’égalité, par les promesses d’affranchissement qu’ils ont fait parvenir aux colonies, ont soulevé les noirs et préparé la ruine de Saint-Domingue, la ruine de la France.

La réponse était aisée, car les noirs esclaves ne se seraient pas soulevés, si les mulâtres libres et propriétaires étaient restés unis aux colons blancs, et ils seraient restés unis à ceux-ci si on leur avait accordé l’égalité des droits politiques, si, sous la Constituante, les modérés et les colons n’avaient point réussi à paralyser le décret de mai qui accordait le droit de vote aux hommes de couleur libres ; si plus tard même, en septembre, ils n’avaient pas obtenu l’annulation du décret de mai.

Brissot, étourdiment, commença par nier l’authenticité des lettres qui annonçaient le soulèvement des noirs ; mais ces nouvelles ne tardèrent pas à