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Le crime impardonnable, inexpiable, c’est celui de la royauté fourbe, menteuse, traîtresse, qui ne se résigna jamais à la liberté nouvelle, qui n’accepta jamais honnêtement la Constitution qu’elle jurait de servir, et qui par sa trahison secrète, sournoise, constamment ressentie et impossible à saisir, accula la France énervée aux résolutions de guerre et pressa l’intervention hésitante de l’étranger.

Au moment où le roi lisait la déclaration de guerre, sa voix était altérée. Tremblait-elle de douleur, de colère, de frayeur ou de honte ? Était-il irrité et humilié d’avoir condescendu, par tactique, à déclarer la guerre à celui-là même dont il sollicitait le secours ? Se demandait-il avec crainte ce qui allait sortir pour lui de ce drame ? Ou bien le sentiment qu’il trompait la nation, qu’il se préparait à la livrer, faisait-il un peu trembler sa voix devant les représentants de la France ?

Au moment même où le roi acceptait de déclarer la guerre à François II, il s’appliquait à hâter la marche des armées d’invasion qui devaient fouler le sol et la liberté de la France, et il renseignait l’ennemi sur les opérations probables des armées françaises.

Le 24 mars, le baron de Breteuil commente la mission dont Goguelat, sous le nom de Dammartin, est chargé auprès de l’empereur François II. Goguelat portait ce simple mot de la reine :

« Croyez en tous points, mon cher neveu, la personne que je charge de ce billet.

« Marie-Antoinette. »

Et ce mot du roi :

« Je pense absolument comme votre tante, et j’y ai la même confiance.

« Louis. »

Breteuil écrivait donc :

« Vous jugerez, Sire, d’après les détails du sieur Dammartin, qu’il est impossible de réunir sur les mêmes têtes des malheurs et des dangers de tout genre, plus déchirants et plus révoltants. Il est certain que la faction qui maîtrise le royaume, est résolue à porter l’audace jusqu’à déclarer la guerre ; elle veut, sans différer, faire deux points d’attaque à la fois : dans l’empire et sur le territoire du roi de Sardaigne.

« Leur résolution, en commençant les deux entreprises, est de suspendre le roi de ses fonctions, de séparer la reine de S. M. sous le prétexte de différentes accusations portées à dix-neuf chefs, dont le principal est d’avoir engagé feu S. M. l’Empereur à former une confédération avec les grandes puissances de l’Europe en faveur de la prérogative royale. On ne peut penser sans frémir d’horreur jusqu’où ces misérables peuvent porter cet abominable projet, ou se dissimuler que leur atrocité est sans mesure, parce qu’elle se voit sans frein. »