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Le domaine d’Église comprenait des droits féodaux, des rentes foncières, des champarts. Les municipalités paysannes qui avaient acquis ces droits, négligeaient systématiquement de les faire valoir. Elles ne réclamaient pas aux paysans les rentes foncières qu’ils devaient à titre féodal. Et ainsi elles créaient un précédent formidable, une sorte de jurisprudence d’abolition complète que les paysans appliquaient ensuite aux redevances dues par eux aux particuliers.

Il y a là une répercussion tout à fait imprévue de la loi faisant intervenir les municipalités dans la vente des biens nationaux : ainsi en d’innombrables centres de vie municipale il y avait comme un frémissement populaire ; et un sourd travail de désagrégation minait le vieux droit féodal, malgré les juristes bourgeois qui tentaient de le consolider. Que pouvaient à la longue les Assemblées bourgeoises contre cet effort paysan innombrable et tenace qui rongeait la féodalité ?

C’est en vain que la Constituante élève la voix jusqu’au ton de la menace :

« Il est temps enfin que ces désordres cessent, si l’on ne veut pas voir périr, dans son berceau, une constitution dont ils troublent et arrêtent la marche. Il est temps que les citoyens dont l’industrie féconde les champs et nourrit l’Empire, rentrent dans le devoir et rendent à la propriété l’hommage qu’ils lui doivent. »

Appel inutile : car les règles juridiques que trace l’Assemblée heurtent trop violemment l’instinct, l’espérance des paysans et l’idée soudaine qu’ils s’étaient faite du sens du décret du 4 août.

L’Assemblée, en effet, ne se borne pas à rappeler que tous les droits féodaux doivent subsister jusqu’au rachat quand ils représentent une concession de terre faite jadis par le seigneur propriétaire aux tenanciers. Elle affirme, avec une énergie extrême, que le seigneur sera présumé avoir fait cette concession de fonds, tant que le tenancier n’aura pas apporté la preuve contraire. « Cet article (l’article 2 du titre II de la loi du 15 mars) a pour objet trois espèces de droits, savoir : les droits fixes (comme la rente foncière, payée tous les ans), les droits casuels dus à la mutation des propriétaires et les droits casuels dus tant à la mutation des propriétaires qu’à celle des seigneurs (c’est en réalité l’ensemble des droits onéreux qui pèsent sur les paysans)… Ces trois espèces de droits ont cela de commun qu’ils ne sont jamais dus à raison des personnes, mais uniquement à raison des fonds et parce qu’on possède des fonds qui en sont grevés. « Cet article soumet ces droits à deux dispositions générales.

« La première que dans la main de celui qui possède (et dont la possession est accompagnée de tous les caractères et de toutes les conditions requises en cette matière par les anciennes lois, coutumes, statuts ou règles), ils sont présumés être le prix d’une concession primitive de fonds.