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Tous préfèrent la guerre à voir plus longtemps la dignité du peuple français outragée, et la sûreté nationale menacée.

« J’avais dû, préalablement, épuiser tous les moyens de maintenir la paix ; je viens aujourd’hui aux termes de la Constitution, proposer à l’Assemblée nationale la guerre contre le roi de Bohème et de Hongrie. »

Un seul député, Becquey, tenta de s’y opposer.

La guerre fut décidée à une immense majorité dès la séance du 20 avril. Entre le vieux monde monarchique et féodal et la Révolution démocratique, un choc immense allait se produire. Nul alors, parmi ceux qui votèrent la guerre, n’en prévit l’immensité et la durée. Ou bien ils croyaient qu’elle serait limitée à l’Autriche, ou bien ils imaginaient que l’esprit révolutionnaire déchaîné sur le monde allait en quelques jours plier les vieux pouvoirs comme des herbes sont pliées et flétries par un vent d’orage. Mais il y avait dans la France révolutionnaire une telle force de passion, un orgueil si véhément de la liberté que même si elle avait pu mesurer exactement l’étendue de la lutte où elle entrait, elle n’aurait pas reculé. Seul, le fantôme du despotisme militaire, grandissant à l’horizon, l’aurait fait hésiter peut-être. La ferveur et le rayonnement de l’enthousiasme lui cachaient le péril.

Chose curieuse et vraiment dramatique ! Au moment où Louis XVI entra pour soumettre à l’Assemblée la déclaration de guerre, c’est Condorcet qui était à la tribune et qui y développait un plan admirable et vaste d’instruction publique.

Condorcet, nous l’avons vu, croyait à la nécessité de la guerre : mais il s’efforçait de la limiter, et on aurait dit qu’il essayait d’occuper d’avance l’horizon par de magnifiques projets pacifiques.

Le plan d’instruction publique, tel qu’il le développait, supposait en effet la paix. Il prévoyait une extension rapide des premières mesures proposées : et il disait : « On pourrait nous reprocher d’avoir trop resserré les limites de l’instruction donnée à la généralité des citoyens, mais la nécessité de se contenter d’un seul maître pour chaque établissement, celle de placer des écoles auprès des enfants, le petit nombre d’années que ceux des familles pauvres peuvent donner à l’étude nous ont forcés de resserrer cette première instruction dans des bornes étroites ; et il sera facile de les reculer lorsque l’amélioration de l’état du peuple, la distribution plus égale des fortunes, suite nécessaire des bonnes lois, les progrès des méthodes d’enseignement, en auront amené le moment ; lorsqu’enfin la diminution de la dette et celle des dépenses superflues permettra de consacrer à des emplois vraiment utiles une plus forte portion des revenus publics. »

Voilà le grand rêve de démocratie pacifique, éclairée, égalitaire, que déployait Condorcet au moment même où arrivait le roi, portant la déclaration officielle de la guerre qui allait engloutir pour des générations toutes les ressources du pays. Que Condorcet ait dû descendre de la tribune pour