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ne peuvent pas espérer le bonheur de l’empire sans le concours du roi, L’empire n’est ni plus heureux ni plus libre que si son bonheur et sa liberté ne dépendaient que du roi ; cependant, comme le roi ne peut pas agir seul, comme il ne peut rien ordonner sans le concours des ministres, il est certain que la somme de bien ou de mal résultant d’un gouvernement dépendra toujours de la volonté des ministres, dont l’attache n’est pas forcée et qui doivent savoir se refuser au besoin. C’est en ce sens que nous avons dit que le ministère actuel, s’il est aussi bien intentionné qu’on a le droit de l’attendre, pourra faire jouir le peuple d’une sorte de bonheur et de liberté qui durera aussi longtemps qu’il plaira au roi de les conserver. »

Les démocrates notaient très bien la contradiction essentielle de la Constitution. Elle constituait tous les pouvoirs à l’élection, tous, sauf le pouvoir suprême. C’est par les représentants élus de la nation qu’était faite la loi, mais un chef du pouvoir exécutif, à jamais inviolable, à jamais irresponsable, pouvait ou par le veto ajourner pour des années la loi, ou par le choix d’agents d’exécution animés d’un esprit contre-révolutionnaire, la paralyser et la fausser.

En fait, cette contradiction, théoriquement insoluble, aurait pu être résolue si la monarchie avait compris les temps nouveaux, si elle avait loyalement accepté la Constitution nouvelle. Mais celle-ci portait en elle un ennemi sournois qui la rongeait, pour ainsi dire, du dedans. Que le roi soit obligé d’appeler des ministres démocrates, patriotes, jacobins, très prononcés dans le sens de la Révolution, alors la crise latente de la Constitution éclatera nécessairement. Ou bien les agents ministériels du pouvoir royal obligeront celui-ci à marcher avec la Révolution, ou bien, en obligeant le roi à les chasser, ils feront éclater à tous les yeux l’incompatibilité essentielle de la Révolution et de la monarchie. C’est par là que l’avènement du ministère Girondin a un sens révolutionnaire.

Dumouriez se hâta, comme il l’avait promis, de préciser la situation extérieure. Depuis longtemps, il était l’adversaire de l’alliance autrichienne. Nombreux étaient, sous l’ancien régime, les hommes qui déploraient le traité de 1756, qui lui imputaient tous les malheurs de la France dans la Guerre de Sept ans et qui désiraient un autre groupement des puissances.

Les événements révolutionnaires parurent à Dumouriez une occasion excellente de réaliser cette conception diplomatique. Combattre l’Autriche, négocier avec la Prusse, tel était son plan qui coïncidait partiellement avec celui de Brissot, mais qui procédait d’une toute autre pensée et tendait à un tout autre but. Pressé de donner des explications complémentaires, le prince de Kaunitz avait renouvelé le 18 mars ses considérations antérieures et affirmé qu’elles répondaient aux vues du nouveau roi François II. Dumouriez envoya à Vienne un message qui devait exiger la promesse ferme de la dissolution du Congrès des souverains.