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Société, et je jure, au nom de la liberté, qu’il n’en sera point ainsi, qu’elle sera toujours l’effroi de la tyrannie et l’appui de la liberté. »

« Là-dessus, note le procès-verbal des Jacobins, M. Dumouriez se précipite dans les bras de M. Robespierre. La Société et les tribunes, regardant ces embrassements comme le présage de l’accord du ministère avec l’amour du peuple, accompagnent ce spectacle des plus vifs applaudissements. »

Aucune objection de principe ne fut faite à l’entrée des patriotes, des Jacobins (Roland était secrétaire de la Société), dans un ministère formé par le roi. À vrai dire, « les Amis de la Constitution » ne pouvaient pas s’opposer au fonctionnement de la Constitution qui donnait au roi le droit de choisir les ministres. Toujours jusqu’ici les Assemblées s’étaient abstenues de paraître exercer même un contrôle sur les choix ministériels faits par le roi. Il pouvait les appeler et les renvoyer à son gré, et le caractère révolutionnaire du mouvement que provoqua le renvoi de Necker (et qui était antérieur d’ailleurs à la Constitution), ne peut être invoqué comme le signe d’une pratique contraire ; même, alors, la Constituante protesta qu’elle n’entendait point peser sur la volonté royale. À vrai dire, le régime parlementaire n’était pas encore né.

Les ministres, même en 1792, étaient les commis du roi beaucoup plus que les organes de la majorité : ils étaient responsables ; ils pouvaient, comme de Lessart récemment, être mis en accusation. Mais cette responsabilité ne s’étendait pas aux actes où ils n’apparaissaient que comme les instruments de la prérogative royale. Ainsi, quand les ministres transmettaient à l’Assemblée les refus de sanction du roi, aucune voix ne s’élevait dans l’Assemblée pour demander aux ministres : Pourquoi consentez-vous à transmettre des refus de sanction portant sur des décrets et des lois auxquels les représentants de la nation attachent la plus grande importance ? Il eût semblé que faire un grief aux ministres de transmettre le veto, c’eût été s’en prendre au veto lui-même et supprimer le droit constitutionnel du roi, en lui retirant les moyens de l’exercer.

Pourtant, quand le roi acculé fut obligé d’appeler, non plus des royalistes comme Bertrand, non plus des « monarchiens » comme Delessart, non plus même des constitutionnels modérés comme Duport-Dutertre et Cahier de Gerville, mais des patriotes, des démocrates, des jacobins comme Dumouriez et Roland, on sentit confusément qu’il y avait quelque chose de changé dans les rapports du ministère et du roi. On entrevit que les nouveaux ministres ne pourraient pas, à l’égard de la prérogative royale, jouer le rôle passif de leurs prédécesseurs, qu’ils étendraient nécessairement leur responsabilité : et c’est comme la première ébauche, comme la première lueur du régime parlementaire qui apparaît.

Je trouve un indice de ce travail des esprits dans l’article : Des nouveaux