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nous avons la conscience de notre innocence et de notre force, et si nous renversions nos faux, comme on nous en accuse, nous saurions nous faire respecter. La douceur du peuple est celle de l’agneau, sa force est celle du lion, et, s’il sortait de son caractère sa férocité serait celle du tigre. »

Dumouriez était donc averti, et il connaissait toutes les forces de routine sauvage qui pouvaient dans l’Ouest éclater contre la Révolution. Bien des propos de lui, à cette époque, témoignent qu’il ne se faisait pas illusion sur l’étendue du péril, mais il savait par des démarches personnelles habiles auprès des curés les moins engagés, par son affabilité, par son art de diviser les intérêts et de calmer les amours-propres, amortir et disperser le choc. C’est cette tactique d’habileté et d’intrigues, d’audace et de séduction qu’il va appliquer à l’ensemble de la Révolution.

Son premier acte, après avoir gagné Brissot et la Gironde, c’est d’aller aux Jacobins. Il y parut le lundi 19 mars. Grande nouveauté que la présence d’un ministre « patriote » au club ! Et comme ce ministre était chargé des affaires étrangères, quelle vive réponse aux communications de l’empereur et de Kaunitz dénonçant les Jacobins !

Ceux-ci en furent transportés. Dumouriez monta à la tribune et, selon l’usage adopté depuis quelques jours par les orateurs de la Société, se coiffa du bonnet rouge. Il avait cette grâce souveraine de ne pas faire à demi les démarches que la politique lui conseillait.

« Frères et amis, dit-il, tous les moments de ma vie vont être consacrés à remplir la volonté de la Nation et le choix du roi constitutionnel. Je porterai dans les négociations toutes les forces d’un peuple libre, et ces négociations porteront sous peu une paix solide ou une guerre décisive. (Applaudissements.) Et dans le dernier cas je briserai ma plume politique et je prendrai mon rang dans l’armée pour venir triompher ou mourir libre avec mes frères. J’ai un grand fardeau et très difficile à soutenir, mes frères ; j’ai besoin de conseils, vous me les ferez passer par vos journaux ; je vous prie de me dire la vérité, les vérités les plus dures. Mais repoussez la calomnie, et ne rebutez pas un zélé citoyen que vous avez toujours connu tel. » (Applaudissements universels.)

Robespierre fit quelques réserves : « Je déclare à M. Dumouriez qu’il ne trouvera aucun ennemi parmi les membres de cette Société, mais bien des appuis et des défenseurs, aussi longtemps que par des preuves éclatantes de patriotisme, et surtout par des services réels rendus au peuple et à la patrie, il prouvera, comme il l’a annoncé par des pronostics heureux, qu’il était, le frère des bons citoyens et le défenseur zélé du peuple. Je ne redouterai pour cette Société la présence d’aucun ministre, mais je déclare qu’à l’instant où dans cette Société un ministre aurait plus d’influence qu’un bon citoyen qui s’est constamment distingué par son patriotisme, alors il nuirait à la