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Pitoyable et maladroite politique ! Enfin, les Feuillants, ainsi séparés, pour ainsi dire, de la Révolution et en perdant tous les jours le sens, s’imaginèrent que le mouvement révolutionnaire et démocratique était artificiel, que seuls les clubs l’entretenaient. Et ils dirigèrent contre les Jacobins des polémiques insensées qui les irritaient tout ensemble et les grandissaient. C’est par eux que l’empereur d’Autriche fut conduit à dire que tous les « excès » de la Révolution sortaient du club de la rue Saint-Honoré. Un député modéré, Mouysset, alla jusqu’à demander que la salle des séances de l’Assemblée fût ouverte le soir aux députés qui voulaient délibérer officieusement. C’était une façon de dresser, en face du club des Jacobins, une sorte de club légal, nous dirions aujourd’hui un club parlementaire. Des pénalités furent même proposées contre les députés qui manqueraient une séance de l’Assemblée et assisteraient à une séance des clubs.

Et pendant qu’ils s’ingéniaient à ces pauvres inventions de police, les modérés, entrant par calcul dans le système de la guerre, perdaient peu à peu toute force de résistance. Ils auraient pu, s’ils avaient été nettement, dès l’origine, le parti de la paix, embarrasser cruellement la Gironde. Ils auraient pu exploiter contre elle les griefs de Robespierre. En soutenant Narbonne, ils s’interdirent à eux-mêmes de parler sérieusement de paix ; ils laissèrent se créer l’atmosphère de combat et de fièvre où tous les soupçons allaient éclore, et c’est à peine si quelques-uns d’entre eux se risquèrent à défendre mollement Delessart contre l’acte d’accusation si sophistiqué pourtant de Brissot. Aucun d’eux n’eut le courage de rappeler à Brissot que lui-même avait tenu plus d’une fois, sur les dispositions pacifiques de l’empereur, le langage qu’il reprochait à Delessart comme un crime. Aussi, malgré la force numérique qu’ils gardaient encore à l’Assemblée législative, les Feuillants étaient-ils en mars sans puissance réelle. La Gironde, hardie et soulevée par le souffle révolutionnaire, devait l’emporter.

Le roi, dans l’affolement qui suivit la dislocation du ministère par la brouille de Narbonne et de Bertrand, la mise en accusation de Delessart et la mort de l’empereur, chercha, non le salut, mais quelques mois de répit, dans un ministère girondin. C’est le 16 mars que le roi annonça à l’Assemblée législative qu’il venait de nommer de Lacoste ministre de la marine et Dumouriez ministre des affaires étrangères. Au reste, comme pour attester le déclin de l’autorité royale, Dumouriez avait pris les devants et, quelques heures plus tôt, avertit lui-même directement l’Assemblée. De Grave était déjà depuis quelques jours ministre de la guerre. Le 24 mars, le roi annonçait à l’Assemblée qu’il venait de nommer Clavière aux finances, ou, comme l’on disait alors, aux contributions publiques, et Roland de la Platière à l’intérieur.

Et cette fois, le roi faisait parvenir aux députés une note où il donnait les raisons de son choix. C’est l’aveu d’une volonté désemparée et à la dérive