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voulu se retirer parce qu’il n’était pas d’accord avec un de ses collègues (M. Bertrand) dont il estime le caractère personnel, mais dont il n’approuve pas également la conduite ministérielle.

« Comment M. Narbonne estime-t-il le caractère d’un homme qui a menti à la face de l’Europe, qui a donné un démenti au roi dont il est le ministre, qui n’a cessé de montrer la mauvaise foi la plus effrontée ? »

Comment le roi n’hésitait-il point à se séparer ainsi de Narbonne ? S’être engagé, sur ses conseils, dans la politique de guerre limitée et le congédier juste à l’heure où le semblant de popularité qu’il avait acquis pouvait protéger la Cour, c’était une faute qui prouvait ou l’entière impuissance, ou l’entière incohérence de la royauté. Cette décision du roi perdait Delessart. N’osant pas blâmer ouvertement une décision du roi relative aux ministres, l’Assemblée va prendre sa revanche en décrétant un des ministres de trahison. Je ne m’arrêterai pas à analyser longuement l’acte d’accusation porté le 10 mars à la tribune.

Au fond, tous les arguments peuvent se ramener à un seul : « Delessart est criminel de n’avoir pas tout fait pour amener la guerre. » Brissot lui reproche comme une félonie jusqu’à la prudence du langage diplomatique. Il lui reproche comme une félonie des paroles, des attitudes qui, hier encore, étaient celles de Brissot lui-même. Il semblait, dit-il, que M. Delessart voulût dérober la connaissance (du concert des souverains), ou ne la donner que le plus tard possible ; il semblait se réserver cette matière nouvelle à des explications et à des négociations, pour tempérer l’ardeur de la nation française qui brillait d’attaquer et de se venger des insultes qu’elle avait reçues. »

« Un ministre habile et patriote aurait vu dans ce concert le foyer de tous les orages qui pouvaient menacer la France, il se fût attaché opiniâtrement à le dissiper. M. Delessart respectait au contraire ce foyer et ne s’attachait qu’à quelques ramifications ou rassemblements des émigrés, aux princes possessionnés. »

Or, nous savons qu’en fait ce concert offensif n’existait pas. Nous savons que Léopold avait toujours cherché des moyens dilatoires. Et nous nous rappelons que Brissot disait il y a peu de temps : « C’est à Coblentz qu’est le foyer du mal. » Il assurait que l’empereur voulait la paix, avait besoin de la paix.

Il pèse tous les mots de la lettre de Delessart : « Avec quelle faiblesse le ministre parle de ce concert, dont l’existence était si bien démontrée, dont l’objet était si contraire aux intérêts de la France. « On a été, dit-il, extrêmement frappé « de ces expressions : les souverains réunis en concert ; on a cru y « voir l’indice « d’une ligue formée à l’insu de la France et peut-être contre « elle ». L’indice ! comment une expression aussi lâche, aussi criminelle est-elle échappée au ministre ?

Ainsi Brissot va envoyer le ministre devant la Haute-Cour d’Orléans