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« Enfin, cette journée a tué et la diplomatie et la réputation de profondeur des cabinets politiques. Y a-t-il rien de plus pitoyable que ces dépêches ? On voit maintenant pourquoi les ministres aiment tant à s’envelopper de mystère : la faiblesse et l’ignorance en ont tant besoin. Et voilà le fruit d’une expérience de soixante ans ! Kaunitz, dupe de jeunes ambitieux, bien ignorants et bien impudents ! Kaunitz se battre contre les républicains et les Jacobins ! Quelle école à quatre-vingts ans ! Ces fautes ne s’effacent guère : il a donné sa mesure et celle de son maître, et avec cette mesure on ne subjugue point une grande nation qui veut sa liberté. »

Brissot triomphe et se grise ; il plane au-dessus de l’Europe. Mais un moment sa vanité semble contrarier son dessein. Il est si fier d’avoir obtenu une réponse de l’Empereur aux sommations dictées par lui qu’il oublie un moment d’attiser la guerre. Car, si déjà, comme le dit Brissot, l’Empereur est humilié, quel besoin est-il de le poursuivre davantage et d’exiger de plus formelles déclarations ? S’il a consenti à cette humiliation plutôt que de rompre, pourquoi la Révolution ne s’applique-t-elle pas à ménager les chances de paix qui se manifestent ?

Si l’Empereur est le jouet des Feuillants, si Barnave, les Lameth, Duport le manœuvrent à leur gré, n’est-il point visible que l’Empereur espère, en modérant par eux les événements intérieurs de France, se dispenser d’une intervention qui l’effraie ? Pourquoi, dès lors, ne pas marcher d’un pas rapide et ferme dans les voies révolutionnaires sans être obsédé par le fantôme extérieur, sans chercher dans la guerre une diversion funeste ? Si la réponse de Louis XVI est simple et franche, si elle mérite les applaudissements de toute l’assemblée, comment pourra-t-on attaquer la royauté ? Comment pourra-t-on attaquer aussi le ministre des affaires étrangères qui a rédigé au nom du roi cette réponse et qui a obtenu de l’Empereur une communication hâtive, humiliante pour celui-ci ? Cet article de Brissot était la meilleure défense du ministre que dix jours après Brissot fera décréter de trahison. Il était le meilleur plaidoyer pour la paix que la Gironde s’obstinera passionnément à rompre.

Et que signifient ces coquetteries avec Louis XVI qui, vraiment, à cette date, était traître à la nation ? Mais qu’importaient à Brissot toutes ces contradictions ? Son cœur s’était gonflé un moment de vanité ; il s’était dit avec complaisance qu’il avait plus de fierté que Louis XIV. Avoir obligé un empereur à répondre le faisait tressaillir d’aise. Ô pauvre parvenu qui n’avait pas la fierté de la Révolution et qui semblait avoir besoin pour elle des approbations impériales !

Que signifie encore cette sorte de rabaissement de son propre parti, des républicains et des Jacobins ? Ils étaient en effet la force organisée de la Révolution. L’Empereur ne se trompait pas en constatant leur puissance. Les Jacobins relevèrent d’ailleurs le défi avec un juste orgueil. Mais Brissot,