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pas honte de pareilles pièces qui ne seront regardées dans l’Assemblée que comme votre propre ouvrage ! » (Bravo ! bravo ! Applaudissements réitérés dans les tribunes.)…Mais, est-il payé pour témoigner les craintes de la nation à l’Empire, pour mentir aux puissances étrangères ? Un peuple libre n’a rien à craindre, il se joue des efforts qu’on peut diriger contre lui. Il ne veut et ne peut voir que des vaincus dans les despotes qui voudraient l’attaquer. Mais, tant que nous serons exposés à des mains mercenaires telles que les siennes, on nous fera tenir ce langage. Je dénonce donc le ministre des affaires étrangères, et dussé-je périr victime de mon patriotisme, je ne cesserai de le poursuivre jusqu’à ce que la loi ait prononcé entre l’accusateur et l’accusé. » (Bravo ! bravo ! Applaudissements réitérés.)

Voilà l’acte d’accusation lancé. Mercenaire ? Delessart ne l’était pas. Il ne trahissait pas la Révolution au profit de la Cour qui le détestait. Mais y avait-il connivence entre lui et l’empereur ? Il y avait seulement concordance de vues. Il y a eu un moment où les modérés constitutionnels dont Delessart était l’organe, et l’empereur ont eu les mêmes vues, les mêmes espérances. Delessart et l’empereur voulaient également la paix et, voulant la paix, ils espéraient l’un et l’autre que la conduite de la Révolution ne passerait pas aux mains du parti de la Gironde, du parti de la guerre. Quand Rouyer et les ennemis du ministre disaient qu’il avait dicté et rédigé la réponse de l’empereur, ils n’étaient point tout à fait hors du vrai. Car, d’une part, la lettre envoyée par M. Delessart à notre ambassadeur à Vienne, ressemblait beaucoup au mémoire que Barnave, Lameth et Duport avaient fait tenir à l’empereur dans les premiers jours de janvier par l’intermédiaire de la reine, et, d’autre part, la réponse publique que fait M. de Kaunitz ressemble trait pour trait au mémoire que l’empereur fit parvenir à la reine en réponse au sien. C’est bien l’état d’esprit feuillant qui sert de lien entre les Tuileries et la cour de Vienne. Ce sont les formules des Feuillants que l’empereur emploie. Ce sont les Feuillants notamment qui ont tracé dans leur mémoire le portrait de ce qu’ils appellent « le parti républicain », en termes presque identiques à ceux qu’emploie Kaunitz dans le document lu à l’Assemblée.

Mais, je le répète, l’empereur ayant besoin de la paix, mais pressé par les appels de sa sœur, Marie-Antoinette, se flattait de l’espoir que les événements ne l’obligeraient pas à intervenir, et il entrait ainsi tout naturellement dans le système des constitutionnels, sans qu’aucune trahison fût imputable à ceux-ci.

C’est à souligner cet accord des Feuillants et de l’empereur, que Brissot s’applique d’abord : « Nous nous dispenserons, écrit-il dans le Patriote français du 2 mars, de donner une longue analyse de cette réponse qui n’est qu’une paraphrase tudesque des morceaux les plus saillants de nos papiers ministériels… On ne s’attendait guère à voir l’empereur s’ériger en avocat de la Constitution ; mais, c’est ce qu’il a encore de commun avec les Feuillants