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cain, c’est-à-dire le dessein formé de surexciter la politique intérieure par la guerre extérieure, l’empereur voulait avertir le roi et la reine qu’ils avaient bien tort de jouer avec le feu. Et il justifiait ainsi devant le monde, ses propres lenteurs, les hésitations et la prudence qui lui étaient si violemment reprochées par les intransigeants de l’émigration et de la monarchie.

La paix restait donc possible, mais à une condition : c’est que la France révolutionnaire eût à ce moment l’esprit assez lucide et assez ferme pour bien voir toute la vérité. Il aurait fallu qu’un ministre des affaires étrangères pût donner à l’Assemblée, à son comité diplomatique, la preuve qu’en effet l’empereur voulait la paix et résistait à la Cour. Il aurait fallu que le comité diplomatique et l’Assemblée puissent avoir confiance en ce ministre. Or, tout était trouble, faux, débile, dans cette triste incubation de la guerre ; tout était mensonge, trahison, duplicité, habileté basse, calcul sournois dans les partis. Le roi et la reine trahissaient. Ils trahissaient cyniquement, mais sans esprit de suite ; tantôt ils redoutaient la guerre, tantôt ils la souhaitaient, mais pour se sauver plus sûrement par l’appui de l’étranger. Les anciens constituants qui voulaient la Constitution et la paix étaient engagés dans de louches négociations avec la Cour : ils acceptaient de faire passer à l’empereur leur mémoire diplomatique par les mains de la reine, dont il est impossible que la loyauté ne leur fût pas suspecte. Les Girondins intriguaient et cherchaient à susciter la guerre par surprise.

Ils tournaient autour de la Royauté d’un cœur hésitant et fourbe, rêvant parfois de la renverser dans une grande crise extérieure, mais se réservant aussi de s’installer en elle, comme des vainqueurs dans une antique maison, et de couvrir leur puissance ministérielle du prestige de la vieille monarchie. Robespierre enfin, qui n’aurait pu détourner les esprits de la fascination extérieure que par un grand effort de révolution intérieure, se bornait à montrer les Tuileries d’un geste vague et timide. La France de la Révolution était admirable, hier, quand elle proclamait les Droits de l’Homme, sa foi sublime dans la raison, la liberté et la paix. Elle sera admirable, demain, quand elle défendra la Révolution menacée, l’avenir du monde contre l’infernale conspiration de toutes les tyrannies. Mais, dans cette période de préparation obscure et sournoise de la guerre, tout serait triste et bas si on ne sentait parfois du cœur profond du peuple monter la sublime espérance de l’universelle libération des hommes et un héroïque défi à toutes les puissances de la mort.

L’Assemblée entendit avec malaise toutes ces communications. Un moment, elle se laissa aller à applaudir Delessart : mais le mécontentement éclata vite.

De suite, à la séance du soir, Rouyer dénonça ce qu’il croyait être la connivence de l’empereur et du ministre : « Je pourrais vous dire, s’écria-t-il, que le comité diplomatique lui-même, lorsque le ministre Delessart lui communiqua ces réponses insidieuses, lui a ri au nez en lui disant : « N’avez-vous