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mais par prudence, par scrupule et aussi par attachement au parti constitutionnel et modéré qui avait ou croyait avoir besoin de la paix.

Faite au contraire sur un ton réservé, cette demande laissait les choses en l’état. Elle prolongeait la paix et les Girondins voulaient la guerre. Elle prolongeait aussi l’incertitude, et l’échange d’observations diplomatiques qui allait se produire ne décidait rien. L’attente de ceux qui voulaient en finir soit par la guerre, soit par la certitude de la paix était trompée, et le ministre allait porter le poids des déceptions et des colères. C’est le 1er mars que Delessart donna communication à l’Assemblée de la note qu’il avait adressée au cabinet de Vienne par l’intermédiaire de notre ambassadeur et des réponses qu’il avait reçues.

La lettre de Delessart était incolore et tiède. Il affirmait parfois avec une certaine force que la France ne permettrait pas que l’on touchât à sa Constitution ; mais parfois aussi il semblait plaider les circonstances atténuantes pour la Révolution. « Ce serait vainement qu’on entreprendrait de changer par la force des armes notre nouvelle Constitution ; elle est devenue, pour la grande majorité de la nation, une espèce de religion qu’elle a embrassée avec enthousiasme, et qu’elle défendrait avec l’énergie qui appartient aux sentiments les plus exaltés. » (Applaudissements réitérés.)

…Et il ajoutait : « Vous m’avez mandé plusieurs fois, Monsieur, qu’on était extrêmement frappé à Vienne, du désordre apparent de notre administration, de l’insubordination des pouvoirs, du peu de respect qu’on témoignait parfois pour le roi. Il faut considérer que nous sortons à peine d’une des plus grandes Révolutions qui se soient jamais opérées ; que cette Révolution, dans ce qui la caractérise essentiellement, s’étant d’abord faite avec une extrême rapidité, s’est ensuite prolongée par les divisions qui sont nées dans les différents partis, et par la lutte qui s’est établie entre les passions et les intérêts divers.

« Il était impossible que tant d’opposition et tant d’efforts, tant d’innovations et tant de secousses violentes ne laissassent pas après elles de longues agitations ; et l’on a lieu de s’attendre que le retour de l’ordre ne pourrait être que le fruit du temps. »

Delessart déclarait que c’étaient les menaces des émigrés qui surexcitaient les esprits : « Qu’on cesse de nous inquiéter, de nous menacer, de fournir des prétextes à ceux qui ne veulent que le désordre, et bientôt l’ordre renaîtra. (Applaudissements.)

« Au reste, ce déluge de libelles dont nous avons été si complètement inondés est considérablement diminué et diminue encore tous les jours. L’indifférence et le mépris sont les armes avec lesquelles il convient de combattre cette espèce de fléau. L’Europe pouvait-elle s’agiter et s’en prendre à la nation française parce qu’elle recèle dans son sein quelques déclamateurs