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force et que les puissances le désirent ainsi. Il en convint. Cependant, à moins d’être toujours encouragé, je ne suis pas sûr qu’il ne soit tenté de négocier avec les rebelles. Ensuite il me dit : « Ah ! ça, nous sommes entre nous et nous pouvons parler. Je sais qu’on me taxe de faiblesse et d’irrésolution, mais personne ne s’est jamais trouvé dans ma position. Je sais que j’ai manqué le moment, c’était le 14 juillet ; il fallait s’en aller, et je le voulais ; mais comment faire quand Monsieur lui-même me priait de ne pas partir, et que le maréchal de Broglie, qui commandait, me répondait : — Oui, nous pouvons aller à Metz, mais que ferons-nous quand nous y serons ? — J’ai manqué le moment, et depuis je ne l’ai pas retrouvé. J’ai été abandonné de tout le monde. » Il me pria de prévenir les puissances qu’elles ne devaient pas être étonnées de tout ce qu’il était obligé de faire, qu’il y était obligé et que c’était l’effet de la contrainte. « Il faut, dit-il, qu’on me mette « tout à fait de côté et qu’on me laisse faire. »

Quel désarroi ! quelle chute ! Je ne parle pas de ce projet puéril d’aller à travers bois à la rencontre de l’avant-garde étrangère pour se faire enlever. Mais comment ce roi, qui reconnaît lui-même qu’il ne peut pas recouvrer toute son autorité ancienne, et que par conséquent la Révolution était inévitable, comment s’obstine-t-il à la combattre encore ? Et surtout comment le roi des Français a-t-il assez perdu le sens de la France pour croire qu’elle aura peur à la première démarche de l’ennemi, et que, tremblante, elle se réfugiera auprès de lui ? Quoi, ce peuple, qui si souvent dans son histoire tourmentée se redressa du fond des abîmes par un magnifique courage, va se prosterner maintenant aux pieds de l’envahisseur ? Voilà la véritable abdication du roi. Voilà la véritable déchéance. Il ne sait plus ce qu’est la nation dont il est le chef. Fersen repartit pour Bruxelles le 23 février.

Cependant l’empereur finissait par arrêter un plan de concert avec la Prusse, mais combien incertain encore ! Il semble bien qu’il s’était décidé à une intervention dans les affaires intérieures de la France, c’est-à-dire à la guerre. Car, selon les conventions fixées entre l’Autriche et la Prusse, Mercy écrit à la reine, le 16 février :

« 1o Les puissances étrangères, en s’abstenant de rien prescrire sur le mode (de l’autorité royale) n’en sont pas moins autorisées à exiger qu’il en existe un convenable.

« 2o Que la France fasse cesser ses démonstrations hostiles contre l’Allemagne en écartant les trois armées de cinquante mille hommes chacune, ouvertement annoncées pour agir brutalement.

« 3o Que les princes possessionnés en Alsace, et aussi injustement que violemment dépouillés de ce que leur garantissent les traités les plus solennels soient rétablis dans l’intégrité de leurs droits et possessions.

« 4o Qu’Avignon et le comtat Venaissin soient restitués au pape.