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Le ministre des affaires étrangères, Delessart, que la Gironde accusera tout à l’heure de complicité criminelle avec la Cour, travaillait contre la guerre, c’est-à-dire à la fois contre la Cour et contre la Gironde. Entre lui et la reine, il n’y avait aucune communication. C’est tout à fait en secret qu’elle avait reçu Simolin, et il était chargé d’un message que le ministre ignorait. Et au moment où elle se décidait à la guerre, la reine se sentait plus éloignée que jamais des sœurs de Louis XVI, car c’est dans une toute autre pensée qu’elle s’y décidait ; elle gardait toujours au cœur sa haine contre les émigrés et contre les princes frères du roi. Le roi lui-même était indécis et pesant. Avec un seul homme maintenant elle pouvait parler en confiance, avec celui qui pour préparer la fuite de Varennes, avait affronté tous les périls ; un mutuel amour, mélancolique et combattu, liait Fersen et la reine, et cet amour s’était exalté chez l’un jusqu’au sacrifice, chez l’autre jusqu’à l’acceptation du sacrifice. Il est vrai que le voyage était aussi dangereux pour la reine que pour Fersen. Reconnu, l’ancien cocher du départ pour Varennes, était perdu, mais la reine, suspectée ou accusée d’avoir machiné un nouveau projet de fuite, pouvait être compromise aussi. Leur émotion dut être grande quand, dans le mystère toujours menacé des Tuileries, ils s’entretinrent de ce triste voyage de Varennes, quand la reine en conta quelques détails à Fersen qui les a notés dans son journal.

Mais ce poignant retour du passé ne pouvait être que d’une heure. C’est l’avenir qu’il fallait régler. Fersen essaie de nouveau de décider le roi à fuir, ou tout au moins à combiner la fuite avec la guerre. Fersen se fait auprès du roi le représentant des tendances absolutistes. Il lui semble que si Louis XVI, après la déclaration de guerre, reste au milieu de la Révolution, et avec le rôle de médiateur que prévoit pour lui l’empereur d’Autriche, Louis XVI fera trop de concessions aux idées nouvelles. Qu’il s’évade, au contraire, qu’il consente à être enlevé par les envahisseurs, ce n’est plus comme négociateur entre la Révolution et la contre-révolution qu’il interviendra, mais comme chef des forces contre-révolutionnaires.

« Le 14 (février), mardi : Très beau et très doux. Vu le roi à six heures du soir. Il ne veut pas partir, et il ne peut pas à cause de l’extrême surveillance ; mais, dans le vrai, il s’en fait un scrupule, ayant si souvent promis de rester, car c’est un honnête homme. Il a cependant consenti, lorsque les armées seront arrivées, à aller avec des contrebandiers, toujours par les bois, et se faire rencontrer par un détachement de troupes légères. Il veut que le congrès ne s’occupe d’abord que de ses réclamations, et si on les accordait, insister alors pour qu’il sorte de Paris dans un lieu fixé pour la ratification. Si on refuse, il consent que les puissances agissent, et se soumet à tous les dangers. Il croit ne rien risquer, car les rebelles en ont besoin pour obtenir une capitulation. Il (le roi) portait le cordon rouge. Il voit qu’il n’y a de ressource que la force, mais, par une suite de sa faiblesse, il croit impossible de reprendre toute son autorité. Je lui prouvai le contraire, dis que c’était par la