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alcool d’orgueil, de soupçon et de fureur, qui bientôt livrera la liberté déprimée au césarisme et à la réaction.

Mais qu’est-ce à dire enfin ? C’est que même si nous ne nous trompons pas, même s’il est vrai que l’étourderie ambitieuse et vaniteuse de la Gironde a jeté la Révolution dans des chemins d’aventures, nous devons de cette erreur des hommes tirer une leçon pour l’avenir, non un argument contre la Révolution elle-même.

Elle reste, dans le monde, le droit, l’espoir de la liberté, et tout notre cœur sera avec elle dans la formidable bataille que témérairement peut-être et nerveusement elle engagea avant l’heure contre les puissances d’oppression, de ténèbres, de médiocrité, qui guettaient toutes ses imprudences, surveillaient tous ses mouvements et mesuraient à leur courte pensée l’essor de son rêve.

Dans la paix, s’il est possible, à travers la guerre s’il le faut, nous suivrons le grand peuple de la Bastille devenu le grand peuple de Valmy ; mais que dans la coupe de la Révolution les générations nouvelles boivent l’héroïsme pur de la liberté, non le résidu fermenté des passions guerrières.

L’empereur, à cette date, est si incertain encore que la reine Marie-Antoinette se croit obligée de l’aiguillonner. Elle qui avait jusqu’ici évité de s’engager avec l’impératrice Catherine de Russie, suspecte à ses yeux de trop de complaisance pour les émigrés, elle recourt à elle maintenant, et c’est Simolin, le chargé d’affaires de la Russie à Paris, que la reine envoie à Vienne pour presser son frère. Elle a pris son parti : comme la Gironde, elle veut en finir, et elle préfère décidément la guerre avec tous ses périls, à l’état d’inquiétude et de tension nerveuse où elle vivait depuis si longtemps. Ainsi, c’est à peu près à la même date que la Révolution et la royauté se décidèrent à la grande épreuve.

La reine écrit, dans les premiers jours de février, au comte de Mercy : « M. de S… (Simolin) qui va vous joindre. Monsieur, veut bien se charger de mes commissions… L’ignorance totale où je suis des dispositions du cabinet de Vienne rend tous les jours ma position plus affligeante et plus critique. Je ne sais quelle contenance faire, ni quel ton prendre ; tout le monde m’accuse de dissimulation et de fausseté, et personne ne peut croire (avec raison) qu’un frère s’intéresse assez peu à l’affreuse position de sa sœur pour l’exposer sans cesse sans lui rien dire. Oui, il m’expose et mille fois plus que s’il agissait ; la haine, la méfiance, l’insolense sont les trois mobiles qui font agir dans ce moment ce pays-ci.

« Ils sont insolents par excès de peur, et parce qu’en même temps ils croient qu’on ne fera rien du dehors. Cela est clair, il n’y a qu’à voir les moments où ils ont cru que réellement les puissances allaient prendre le ton qui leur convient, notamment à l’office du 21 décembre de l’empereur, personne n’a osé parler ni remuer jusqu’à ce qu’ils fussent rassurés.