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concert de notions et de mesures ; sans cet accord, bien des choses essentielles échapperont. On supplie de faire attention à cette remarque. » C’est la trahison royale qui se précise.

Mais, malgré l’attitude tous les jours plus agressive de l’Assemblée, malgré même le décret, l’empereur hésite encore. Il est vivement préoccupé de ses grands desseins en Pologne. Depuis des années, il manœuvrait pour soustraire la Pologne à l’influence russe et prussienne, pour la sauver de l’anarchie et pour y installer une monarchie héréditaire, alliée à l’Autriche et sur laquelle celle-ci aurait une grande autorité morale. Le 3 mai 1791, une révolution dans ce sens s’était opérée en Pologne, sous la conduite du roi Stanislas, enfin acquis aux vues de Léopold II. Le droit de veto, c’est-à-dire le droit reconnu à tout noble d’arrêter, par sa seule opposition, toute décision de la Diète, fut aboli.

Des garanties furent données aux paysans, des droits politiques furent accordés à la bourgeoisie, et un système de deux Chambres fut institué. Le ministère devait gouverner au nom d’une monarchie héréditaire. Et c’est dans la maison de l’Électeur de Saxe, alliée à la maison d’Autriche, que la couronne de Pologne devait être fixée. Ainsi, la Pologne et la Saxe réunies, associées, constituaient en Allemagne, contre la Prusse et la Russie, une force de premier ordre, et l’influence de l’Autriche dans le monde était singulièrement accrue : la Prusse ne pouvait plus lui arracher l’Allemagne. La Russie ne pouvait plus contrarier ses progrès en Turquie. On devine qu’il était cruel à Léopold II de renoncer à ce plan magnifique pour entreprendre une guerre onéreuse et périlleuse contre la Révolution.

Il lui était cruel de négocier avec la Prusse une entente contre la France, et de se condamner par là même à abandonner ses desseins en Pologne que la Prusse ne pouvait tolérer. Aussi, s’efforçait-il encore d’ajourner tout au moins la rupture avec la France, et le mémoire qu’il adressa à Marie-Antoinette le 31 janvier, répond certainement à ses pensées. Bien que la reine lui eût écrit d’envoyer une réponse « qu’on pût montrer », il est clair que c’est bien la politique de l’empereur lui-même qui s’exprime dans ce mémoire : « 31 janvier 1792. Très chère sœur, je crois ne pouvoir mieux témoigner ma tendre amitié pour vous et pour le roi, en ces moments critiques, qu’en vous ouvrant mes sentiments sans la moindre réserve. Je m’en acquitte avec la plus entière cordialité par ce mémoire que je vous envoie pour servir de réponse à celui que vous m’avez fait parvenir par le canal du comte de Mercy. Charmé de voir que nos idées et nos vues se rencontrent dans les points les plus essentiels, je ne puis que bien augurer de l’issue ; elle sera à la fois tranquille et heureuse si elle répond aux vœux que me dicte l’attachement vif et éternel avec lequel je vous embrasse. »

Léopold II expose d’abord le plan de révision constitutionnelle qui, selon lui, devrait être appliqué : « Les imperfections de la nouvelle Constitution