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du tout l’existence d’une ligue offensive. Et puis, cette prétention d’enfermer dans un dilemme la réalité mouvante et multiple du monde était odieusement ridicule. La vérité est que l’Empereur était pris entre des forces très divergentes et des exigences très opposées. Il souffrait des périls de sa sœur, mais il ne voulait pas déclarer la guerre à l’aventure. Ses sentiments fraternels, le point d’honneur monarchique lui conseillaient d’intervenir, mais son intérêt politique lui conseillait l’abstention. Et il manœuvrait pour concilier ces nécessités contraires. Il pouvait donc dépendre de la France elle-même et de l’Assemblée que l’esprit de Léopold inclinât enfin d’un côté plutôt que de l’autre ; et la rouerie pédantesque et plate de Brissot enfermant dans les branches grêles d’un dilemme la formidable question de la paix ou de la guerre et l’avenir même de l’humanité libre apparaît, dans cette note, d’une façon bien déplaisante.

En fait, dans tout le débat, une seule parole vraie et profonde avait été dite, c’est celle de Vergniaud, signalant l’état d’anxiété, d’angoisse qui poussait le pays à brusquer une décision, il fallait obliger la maladie « à se déclarer ». Mais nul, dans l’Assemblée, n’avait eu le courage de dire : Cette angoisse, d’où nous vient-elle ? Est-ce du dehors ou du dedans ?

En fait, ce sont les rapports de la Révolution et de la Royauté traîtresse, sournoise, paralysante, qui auraient dû être abordés.

La Législative a fui le problème terrible : elle s’est réfugiée dans la guerre immense, comme un homme obsédé se réfugie dans la tempête pour étourdir un souci qu’il ne peut chasser, pour calmer l’énervement d’un doute insoluble. Et le médiocre Méphistophélès de la Gironde a guetté cette heure de lassitude intime de la Révolution pour lui faire conclure un pacte de guerre.

Au moment où j’écris le monde entier est encore lié par ce pacte. Quand donc l’humanité socialiste le brisera-t-elle ?

Il est tellement fort et il a si étroitement lié, depuis plus d’un siècle, les consciences et les esprits, que même les plus hauts penseurs, même ceux qui ont un grand cœur pacifique et fraternel ne semblent pas concevoir que la Révolution ait pu être séparée de la guerre.

En cette même séance du 17 janvier, Condorcet, n’essayant même pas d’appuyer Daverhoult et de s’opposer aux démarches irréparables, s’ingénie seulement à épurer la guerre de toute pensée trop grossière de conquête, et à la restreindre. Il croit qu’une diplomatie franchement révolutionnaire pourrait aisément nouer des alliances, surtout avec l’Angleterre, et il demande que le pouvoir exécutif renouvelle tout son personnel de représentants au dehors.

Plus tard, le noble et doux communiste Cabet, écrivant, en 1832, un chapitre sur la Révolution française, ne se pose même pas le problème. Il ne semble pas soupçonner qu’une autre politique fût possible que celle