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dit-on qu’ils se réunissent dans les Pays-Bas, vous envoyez une armée en Flandre ; vous dit-on qu’ils s’enfoncent dans le sein de l’Allemagne, vous rappelez vos soldats dans vos foyers.

« Publie-t-on des lettres, des offices dans lesquels on vous insulte ? Alors votre indignation s’excite et vous voulez combattre. Vous adoucit-on par des paroles flatteuses, vous leurre-t-on de fausses espérances, alors votre courroux, docile aux insinuations, se calme : vous songez à la paix. Ainsi, Messieurs, ce sont les émigrés et Léopold qui sont vos chefs. Ce sont eux qui règlent tous vos mouvements. Ce sont eux qui disposent de vos citoyens, de vos trésors, ils sont les arbitres de votre repos, ceux de votre destinée. » (Bravo ! Bravo ! Applaudissements réitérés.)

J’ai presque honte de paraître, commentateur attardé, épiloguer sur ces paroles passionnées, d’où sont sortis des événements passionnés. À quoi sert-il que je coure auprès de ce char de feu en répétant : Prenez garde ! Quel démon d’aventure vous emporte ? Le char éblouissant et terrible, char de la liberté et de la guerre, de la lumière et de la foudre, suit son chemin. Si bientôt le dieu, à force de manier le glaive, devient César et si les peuples éblouis, hébétés par tous les éclairs de la guerre, ne sont plus qu’une immense foule d’esclaves aveugles, cela empêchera-t-il que la Gironde ait bien parlé ? Pourtant s’il reste encore en ces heures ardentes quelque droit à l’esprit critique et à la raison, comment Vergniaud se scandalise-t-il que les précautions que prend un peuple libre soient adaptées aux mouvements mêmes de la réalité ?

Il paraît que se prémunir contre un péril incertain et variable, c’est être l’esclave de ce péril. Il paraît que, pour se délivrer de cet esclavage, il faut aller tout droit au péril lui-même, éveiller la guerre endormie pour n’avoir pas à en surveiller le sommeil.

« Messieurs, dit en terminant l’abondant et noble orateur, une grande pensée s’échappe en ce moment de mon cœur, et c’est par elle que je finirai. Il me semble que les mânes des générations qui dorment dans le tombeau se pressent dans ce temple ; qu’ils vous adjurent par les maux que leur fit souffrir l’esclavage d’en préserver par votre énergie les générations futures ; exaucez ce vœu de l’humanité si longtemps opprimée. Soyez pour l’avenir une providence généreuse. Osez vous associer à la justice éternelle ; sauvez la liberté des efforts des tyrans ; vous serez tout à la fois les bienfaiteurs de votre patrie et ceux du genre humain. »

Il est singulier qu’il ne se soit élevé aucune voix à la Législative, pas même celle de Couthon, pour soutenir la thèse de Robespierre, pour protester contre la guerre au nom de la démocratie et de la Révolution. Seuls des modérés résistèrent. Mathieu Dumas déclara avec force qu’il n’y avait point de raison solide de faire la guerre, que « c’était empoisonner l’avenir que prendre pour une rupture formelle le dernier office de l’empereur ». Il attaque