Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/157

Cette page a été validée par deux contributeurs.

Vraiment, à l’heure où nous commençons à pressentir que la guerre est inévitable, que la France y est entraînée par les passions des hommes ou par la force des choses, par l’énervement des esprits et par les manœuvres des partis, à la veille de cette grande et tragique lutte où la Révolution sera aux prises avec tout l’ancien régime et se débattra contre toutes les trahisons, nous voudrions jeter un voile sur les fautes de ses amis, sur les intrigues de ses défenseurs. Mais il est bien difficile de ne pas témoigner quelque impatience à ce langage de Brissot.

Pour attiser les passions guerrières, pour surexciter l’orgueil et la colère, tous les moyens lui sont bons et les contradictions les plus impudentes ne l’effraient pas. Ce qu’il dit, en cette séance du 17 janvier, est exactement le contraire de ce qu’il disait en octobre, en décembre et même au commencement de janvier. Alors, pour rassurer la France, pour la prendre doucement dans l’engrenage, il disait : « Nous avons affaire aux électeurs, aux émigrés : l’Empereur veut la paix : il a besoin de la paix. »

Maintenant que les électeurs dispersent les émigrés, Brissot s’écrie : « Que vous importent les électeurs, que vous importent les émigrés ? C’est l’Empereur qui est votre ennemi, c’est l’Empereur qu’il faut combattre. » C’est le parti pris presque cynique de la guerre, c’est la guerre à tout prix. Je serais presque tenté de dire que la seule excuse de la Gironde est précisément dans la grossièreté de ses artifices. Pour qu’ils aient réussi, il faut que la nation éprouvât je ne sais quel besoin profond de dissiper par une action décisive toutes les inquiétudes et tous les cauchemars. Mais dans cette impatience nerveuse qui livre la France aux sophismes presque outrageants, aux contradictions presque méprisantes de Brissot, je trouve, à cette date, plus de débilité que de grandeur.

Vergniaud couvrit d’un beau langage, et d’une sorte de noble passion oratoire, les roueries politiciennes et belliqueuses de Brissot.

« Je ne vous parlerai pas de l’inquiétude vague qui tourmente les esprits, de l’anxiété qui fatigue les cœurs, du découragement qui peut naître dans les âmes faibles des longues angoisses de la Révolution. Je ne vous dirai point qu’on emploiera tous les moyens de séduction pour faire dévier les citoyens de la route du patriotisme.

« De toute part, vous marchez sur une lave brûlante, et je veux croire que vous n’avez pas d’éruptions violentes à redouter. Mais je dirai : on a juré de maintenir la Constitution parce qu’on s’est flatté qu’on serait heureux par elle. Si vous laissez les citoyens livrés sans cesse à des inquiétudes déchirantes, à des convulsions continuelles, si vous permettez que leurs ennemis les rendent trop longtemps malheureux ; si vous laissez établir l’opinion que ces malheurs ont leur source dans la Révolution, n’aurez-vous pas à redouter, alors, que chaque jour n’éclaire une nouvelle défection de la cause des peuples ?…