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qu’il a fallu d’abord un ébranlement des classes privilégiées elles-mêmes et, en tout cas, des classes riches.

« Voulez-vous, dit-il, un contre-poison sûr à toutes les illusions que l’on vous présente ? Réfléchissez seulement sur la marche naturelle des révolutions. Dans des États constitués comme presque tous les pays de l’Europe, il y a trois puissances : le monarque, les aristocrates et le peuple, ou plutôt le peuple est nul. S’il arrive une révolution dans ces pays, elle ne peut être que graduelle, elle commence par les nobles, par le clergé, par les riches, et le peuple les soutient lorsque son intérêt s’accorde avec le leur pour résister à la puissance dominante, qui est celle du monarque. C’est ainsi que parmi vous ce sont les parlements, les nobles, le clergé, les riches, qui ont donné le branle à la Révolution ; ensuite le peuple est venu. Ils s’en sont repentis ou, du moins, ils ont voulu arrêter la Révolution lorsqu’ils ont vu que le peuple pouvait recouvrer sa souveraineté ; mais ce sont eux qui l’ont commencée ; et, sans leur résistance et leurs faux calculs, la nation serait encore sous le joug du despotisme. D’après cette vérité historique et morale, vous pouvez juger à quel point vous devez compter sur les nations de l’Europe en général, car, chez elles, loin de donner le signal de l’insurrection, les aristocrates, avertis par notre exemple même, sont aussi ennemis du peuple et de l’égalité que les nôtres, se sont ligués comme eux avec le gouvernement pour retenir le peuple dans l’ignorance et dans les fers. »

Aussi, il est chimérique, selon Robespierre, d’espérer une rapide expansion universelle de la Révolution, et c’est sur les forces contre-révolutionnaires de France qu’il faut concentrer son effort : « Mais, que dis-je ? Avons-nous des ennemis au dedans ? Vous n’en connaissez pas : vous ne connaissez que Coblentz. N’avez-vous pas dit que le siège du mal est à Coblentz ? Il n’est donc pas à Paris ? Il n’y a donc aucune relation entre Coblentz et un autre lieu qui n’est pas loin de nous ?… Apprenez donc qu’au jugement de tous les Français éclairés le véritable Coblentz est en France… Je décourage la nation, dites-vous : non, je l’éclaire ; éclairer des hommes libres c’est réveiller leur courage, c’est empêcher que leur courage même ne devienne l’écueil de leur liberté ; et, n’eussé-je fait autre chose que de dévoiler tant de pièges, que de réfuter tant de fausses idées et de mauvais principes, que d’arrêter les élans d’un enthousiasme dangereux, j’aurais avancé l’esprit public et servi la patrie ! »

Oui, mais ce qui manquait au discours de Robespierre, c’était le souffle révolutionnaire : il semblait ne pas plus espérer le succès d’un mouvement populaire au dedans que le succès de la guerre. « Lorsque le peuple s’éveille et déploie sa force et sa majesté, ce qui arrive une fois dans des siècles, tout plie devant lui, le despotisme se prosterne contre terre et contrefait le mort comme un animal lâche et féroce à l’aspect du lion ; mais bientôt il se relève, il se rapproche du peuple d’un air caressant ; il substitue la ruse à la force ; on le croit converti ; on a entendu sortir de sa bouche le mot de liberté ; le