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persuadant qu’elles veulent la paix ; de même, il se prépare à compléter la Révolution grâce à la trahison royale manifestée dans la guerre, mais il se garde bien d’annoncer comme inévitable cette trahison. Ainsi, il flotte ou paraît flotter d’une conception à une autre, de la guerre avec la Cour à la guerre contre la Cour.

Il ne veut pas ou n’ose pas choisir, et Robespierre profite de cette incertitude, de cet embarras, pour le transformer en un allié, en un complaisant de la Cour. La tactique était habile, mais elle ne répondait pas à la grandeur du problème et à la grandeur du péril. Robespierre se trompait et rapetissait le débat quand il disait que la guerre avait été voulue, préparée, machinée, par la famille royale.

C’est, au contraire, d’une partie de la nation que venaient les impulsions belliqueuses, et la Cour entrait dans le mouvement une fois créé, pour le conduire, le fausser et l’exploiter. Robespierre aurait été bien plus fort s’il avait dit toute la vérité. Mais, peut-être ne la voyait-il pas. Il n’avait pas le sens de ces vastes mouvements confus, de ces impatiences instinctives, de ce besoin d’action brutale et immédiate qui saisissent parfois une nation énervée par l’attente, l’incertitude et le péril. S’il avait vu clair, si la petite intrigue de la Cour ne lui avait pas caché l’effervescence nationale, il aurait dit à Brissot : « Oui, la nation commence à perdre patience et elle va vers la guerre pour déployer sa force, pour en prendre conscience, pour acculer tous ses ennemis masqués à jeter leur masque. Mais il reste à la Cour assez de puissance pour égarer le mouvement. Oui, il se peut, même si la Cour trahit, que la force révolutionnaire puisse traverser cette période de trahison ; mais au prix de quelles épreuves ! et que signifie surtout cette diversion ? Concevez-vous vraiment la guerre comme un purgatif nécessaire pour la Révolution ? et si vraiment elle ne peut trouver dans sa sagesse, dans son amour de la liberté, la force nécessaire pour éliminer la contre-révolution, n’y a-t-il pas danger à jeter dans les aventures guerrières une nation aussi peu assurée de sa propre conscience ? »

Là était le véritable problème. La guerre est-elle vraiment nécessaire à la Révolution ? La guerre est-elle vraiment commandée par notre politique intérieure ?

Et j’ose dire que, dans leurs conclusions opposées, Brissot et Robespierre commirent tous deux la même faute. Tous deux, ils manquèrent de foi en la Révolution.

Oui, malgré ses apparences d’audace, malgré ses téméraires paradoxes sur la trahison, Brissot n’avait pas une suffisante confiance en la Révolution, puisqu’il pensait que la guerre était une convulsion nécessaire, disons le mot, un « vomitif nécessaire », pour que l’organisme de la Révolution rejetât les éléments malades qu’il contenait. Et Robespierre aussi n’avait pas assez de foi en la Révolution, puisqu’il n’affirmait pas la possibilité d’une