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Ainsi, Brissot ne retourne pas en arrière. Il ne déclare pas qu’effrayé par l’intrigue de modérantisme, qui pourrait maintenant fausser la guerre, il renonce à conseiller celle-ci. Il proteste au contraire que les « patriotes », les démocrates continuent à la désirer.

À partir de ce jour, la Gironde joue à l’égard de Narbonne un jeu très compliqué. Elle le ménage, parce qu’en disposant le gouvernement à la guerre il sert inconsciemment la Révolution ou du moins la politique girondine. Mais en même temps, elle s’applique à entraîner la guerre hors des voies que Narbonne et le roi ont tracées. Il s’agit d’abord de redoubler de violence contre les émigrés et contre les princes, pour aggraver la lutte de la Révolution et de la cour. Il s’agit ensuite d’étendre à l’empereur le conflit que le roi voudrait limiter aux petits princes du Rhin.

Dès le 29 décembre, Brissot recommence la bataille. À propos du vote des 20 millions demandés par le ministre de la guerre, il expose à nouveau dans un très long discours toute la politique extérieure et intérieure. Il répète sur les dispositions de l’Europe ce qu’il avait dit le 20 octobre. Une agression de la plupart des souverains n’est pas à craindre. D’ailleurs, les peuples sont amis de la France révolutionnaire. « Il ne faut pas se borner à examiner maintenant les petites passions, les petits calculs et des rois et de leurs ministres.

« La Révolution française a bouleversé toute la diplomatie. Quoique les nations ne soient pas encore libres, toutes pèsent maintenant dans la balance politique ; les rois sont forcés de compter leurs vœux pour quelque chose… Le sentiment de la nation anglaise sur la Révolution n’est plus douteux ; elle l’aime… En Hongrie, le serf lutte contre l’aristocratie, et l’aristocratie contre le trône… Nous ne sommes pas cette poignée de bourgeois bataves, qui voulaient conquérir la liberté sur le stathouder, sans partager avec la classe indigente…

« En vain les cabinets politiques multiplieront les négociations secrètes ; en vain ils s’agiteront, ils agiteront toute l’Europe pour attaquer la France, tous leurs efforts échoueront, parce qu’en définitive il faut de l’or pour payer les soldats, des soldats pour combattre et un grand concert pour avoir beaucoup de soldats. Or, les peuples ne sont plus disposés à se laisser épuiser pour une guerre de rois, de nobles et surtout pour une guerre immorale, impie. »

Ainsi, Brissot croit que la guerre aura nécessairement un caractère démocratique et populaire. Et il semble penser que déjà les souverains de l’Europe sont tellement menacés ou paralysés par leurs peuples qu’une Révolution européenne sera la conséquence presque immédiate d’une guerre sans péril. Déjà, dans son journal le 15 décembre, avec plus de netteté qu’il n’ose le faire à la tribune, c’est sous la forme d’une propagande révolutionnaire armée qu’il entrevoit la guerre. « La guerre ! la guerre ! écrit-il, tel est le