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ceux-ci osaient-ils parler ouvertement de guerre qu’on fit prononcer au roi, dans le mois de décembre, un discours où il semblait l’annoncer à la nation, et vouloir pousser la nation dans ce sens ; c’est alors que la guerre a paru vraisemblable ; le parti dit modéré, qui jusque-là l’avait en horreur, voyant le gouvernement à la tête de cette opinion, a commencé à l’adopter, et le peu d’hommes prévoyants qui voulurent résister à cette frénésie ont passé pour des endormeurs. »

Ainsi, en décembre, au moment où Narbonne entraîne le roi à la politique de guerre limitée, Barnave est résolument opposé à toute guerre : mais il est visible qu’autour de lui les révolutionnaires modérés et monarchistes se laissent gagner aussi à la tactique du ministre aventureux. Sans doute les Lameth et Duport résistèrent moins que Barnave. C’est peut-être son impuissance à faire agréer ses conseils et le dépit de voir l’influence secrète qu’il avait su se ménager auprès du roi et de la reine, abolie en un jour par la brillante étourderie de Narbonne, qui décida Barnave à quitter Paris. Sans doute aussi le terrible enchevêtrement des choses intérieures et des choses extérieures lui fit-il peur. Il quitta Paris, c’est lui-même qui nous l’apprend, dans les premiers jours de janvier 1792, pour revenir dans ses foyers.

Narbonne ne cacha point d’ailleurs à l’Assemblée que c’était lui qui avait suggéré au roi cette politique.

Il affecta dans la séance même du 14 et aussitôt après le roi, de parler en grand ministre dirigeant, et il signifia nettement que, par lui, c’est le parti modéré, le parti constitutionnel qui allait prendre la direction de la guerre, lui donner son caractère et ses limites : « C’est la même nation, c’est la même puissance qui combattit sous Louis XIV ; voudrions-nous laisser penser que notre gloire dépendait d’un seul homme, et qu’un siècle ne rappelle qu’un nom ? Non Messieurs, je ne l’ai pas cru lorsque j’ai désiré le parti que le roi vient de prendre. Je sais qu’on a déjà voulu, qu’on voudra peut-être encore calomnier ce parti, que parmi les hommes qui l’avaient ardemment réclamé, il en est qui se sont préparés à le combattre dès que le gouvernement a paru l’adopter ; mais vous déconcerterez de tels systèmes, et l’on persuadera difficilement à une nation courageuse que de vains discours suffisent à la défense de sa liberté. »

Après ce coup aux Jacobins, et même sans doute à la Gironde, Narbonne précise bien, par le choix même des chefs, que ce sont les révolutionnaires nettement monarchistes et modérés qui auront la conduite des opérations. « Trois armées ont paru nécessaires, M. de Rochambeau, M. de Lückner, M. de Lafayette. » (Triple salve d’applaudissements.)

Enfin, découvrant hardiment son jeu, c’est aux forces d’ordre et de conservation qu’il fait appel et il démontre que la guerre doit être l’occasion de renforcer le pouvoir exécutif, c’est-à-dire royal. « Nous aurons le soin de