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réunies en Congrès, y serait nécessaire, et il espérait que la guerre ferait surgir des incidents qui nécessiteraient la tenue de ce Congrès.

En attendant, le roi affirmait sa volonté constitutionnelle ; et quand il parlait des dégoûts dont on « environnait l’exercice de son autorité », on ne sut s’il parlait des émigrés ou des révolutionnaires. L’Assemblée ne chercha point à préciser, et c’est avec des transports d’enthousiasme qu’elle allait vers l’abîme. Car quel pire désastre pour la Révolution, que la guerre ainsi accaparée par la Cour et conduite avec tant d’arrière-pensées traîtresses ! Mais les esprits étaient si échauffés et la Gironde les avait si étourdiment passionnés du feu de la guerre que toute clairvoyance semblait perdue. Pourtant l’extrême-gauche dans l’Assemblée et dans les tribunes garda le silence. Robespierre et Marat avaient réussi à éveiller un commencement de défiance.

Les conseillers secrets de la Cour depuis Varennes, les Lameth, Duport, Barnave, avaient-ils poussé le roi dans la voie aventureuse ouverte par Narbonne ? Les contemporains l’ont pensé ; l’abbé de Salamon chargé de renseigner la cour de Rome, écrivait le 19 décembre au cardinal Zelada :

« Les Constituants, ne sachant de quel moyen se servir pour écraser les Jacobins et pour faire aller la Constitution, ont pensé qu’il fallait prendre les dits Jacobins au mot et déclarer la guerre, parce qu’il en arriverait une explosion quelconque qui pourrait amener le but désiré, c’est-à-dire la Constitution un peu mitigée. Louis de Narbonne, vif, ayant de l’esprit et de l’ambition, voulant se soutenir dans une place hérissée des écueils les plus scabreux, persuadé qu’un ministre de la guerre ne peut être vraiment en activité que pendant la guerre, non seulement a goûté ce projet des constituants ses amis, mais on assure que c’est lui qui l’a proposé dans le Conseil et l’a fait voir au roi comme le seul moyen de déjouer l’Assemblée et les Jacobins, et l’a fait adopter. C’est d’après cette résolution que nous avons vu sortir de la presse le pitoyable discours qu’on a mis dans la bouche du roi. »

Il paraît bien que Barnave, du moins, n’encouragea pas cette politique ; il aurait voulu le maintien absolu de la paix, mais d’autres « constituants » semblent avoir conseillé l’aventure. Barnave, sous le titre : Fautes de la nouvelle Assemblée, écrit ceci :

« La conduite du gouvernement et du parti constitutionnel eût été de s’opposer décidément à la guerre et en général de résister fortement sur toutes les choses décisives, mais hors de là d’éviter toutes les secousses… Si les ministres ayant arrêté entre eux ces mesures, en ont envoyé le résumé au roi, et ont cru qu’elles auraient plus de poids auprès de lui, appuyées de l’opinion de deux anciens députés qui, quelques mois auparavant, avaient contribué à conserver son trône et sa personne, c’est ce que j’ignore absolument, mais c’est ce qui pourrait être vrai. »

« Le gouvernement n’a jamais eu de marche suivie et a presque toujours donné dans les pièges que ses adversaires ont voulu lui tendre ; à peine