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droit de lods et ventes il ne pût être perçu. Et ainsi elle ordonna le rachat total indivisible, c’est-à-dire l’impossibilité du rachat, c’est-à-dire le maintien, en fait, du régime féodal. Et une des parties les plus importantes, les plus intéressantes de l’action révolutionnaire pendant cinq années sera précisément l’immense effort du paysan pour obtenir l’application du principe général proclamé le 4 août.

Cette action révolutionnaire continue, cette pression des paysans sur la bourgeoisie, les grands historiens de la Révolution ne semblent pas y avoir pris garde. Michelet, qui a pourtant le sentiment si vif des intérêts économiques, n’a pas vu cette lutte profonde. Louis Blanc ne paraît même pas la soupçonner. Il semble, à le lire, que dans la nuit du 4 août jaillit soudain une colonne de lumière et que la Révolution ressemblât à une révélation. Quant aux conséquences du décret du 4 août, aux résistances qu’il rencontra, aux luttes que durent soutenir les paysans, il les ignore. Les historiens ont ainsi faussé pour le peuple l’aspect et le sens de la Révolution. Il a semblé à les lire qu’une société nouvelle avait jailli d’un jet, comme une source bouillonnante. Or, même dans une ardente période révolutionnaire, de 1789 à 1795, même après l’abolition en principe du régime féodal, c’est pièce à pièce seulement, et sous des efforts répétés, que tomba la propriété féodale.

Sans la ténacité profonde du paysan, la féodalité durerait peut-être encore en partie, malgré l’éblouissante nuit du 4 août. L’expropriation de la féodalité s’est faite par morceaux, même en pleine période révolutionnaire. Grand exemple pour nous et qui nous apprend à ne pas dédaigner les expropriations partielles et successives du capitalisme. Pour n’être pas ramassée en un point indivisible du temps, la Révolution ne cesse pas d’être révolutionnaire, la véritable éducation révolutionnaire, c’est de faire entrer dans l’esprit du prolétariat le sens réaliste de l’histoire.

Un des points qui blessaient le plus les paysans dans le décret du 15 mars 1790, c’est que les seigneurs, pour continuer à percevoir les droits féodaux, n’étaient pas tenus de faire la preuve qu’ils avaient en effet un droit sur les tenanciers. Quarante années de possession suffisaient, et c’était au tenancier à faire la preuve qu’il était chargé indûment. Preuve impossible !

Le malaise et l’irritation se manifestent dès le printemps de 1790. Les protestations abondent : j’emprunte le texte de plusieurs d’entre elles à l’appendice du livre de M. Sagnac qui les a notées aux archives nationales. Voici par exemple un extrait du procès-verbal de l’Assemblée administrative du département des Basses-Alpes. (Séance du 29 novembre 1790. « M. Bernardi a dit : Le titre III, article 36 de la loi du 15 mars, porte que les contestations sur l’existence ou la quotité des droits énoncés dans l’article premier seront décidées d’après les preuves autorisées par les statuts, coutumes et règles observées jusqu’à présent.

« Or, quelles règles décidaient parmi nous ces questions importantes ? Il