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rien moins que persuadé lui-même de sa nécessité ? C’est pour éteindre UN FEU D’OPÉRA (c’est Marat lui-même qui imprime en gros caractères ce mot de Rühl) qu’il conseille d’allumer le flambeau de la guerre, pour le rare avantage de n’être pas incommodé par la fumée. »

Et Marat, comprenant que déjà peut-être le flambeau est allumé, s’accuse de négligence :

« Je regrette beaucoup de n’avoir pu m’occuper plus tôt de cet objet pour éventer le piège ; je crains fort que les patriotes n’y soient pris, et je tremble que l’Assemblée, hâtée par les jongleurs prostitués à la Cour, ne se prête elle-même à entraîner la nation dans l’abîme. »

Ainsi, contre la tactique de la Gironde, cherchant la guerre ou pour abattre le roi ou pour le mettre sous la tutelle girondine, commence à s’affirmer la tactique des démocrates disant que la guerre est un piège, qu’elle est voulue par la Cour.

En même temps que Marat, et comme s’il y avait eu un mot d’ordre général donné au parti d’avant-garde, le journal de Prudhomme, dans le numéro qui va jusqu’au 3 décembre, se met à combattre la politique de Brissot. Et son argument est celui-ci :

« Soyez d’abord libres au dedans ; débarrassez-vous de la tyrannie intérieure qui est un péril immédiat au lieu de vous précipiter au dehors contre des périls incertains. « L’intention de l’Assemblée nationale est de dire aux princes d’Allemagne : Nous ne sommes pas contents des rassemblements que vous permettez chez vous ; nous vous sommons de les faire cesser ou bien nous devons déclarons la guerre. Représentants, cette mesure serait bonne si vous représentiez un peuple entièrement libre. »

Et il demande que le veto royal soit supprimé :

« Pourquoi ne pas substituer la volonté nationale au veto royal ?… Si l’Assemblée nationale était grande, elle aborderait fièrement la question, discuterait ce veto pendant plusieurs séances (le veto sur le décret contre les émigrés), elle en démontrerait la nullité, la perfidie du roi, et elle finirait par une adresse aux départements. »

Ainsi le journal de Prudhomme voudrait que sur la question du veto l’Assemblée provoquât une agitation dans tout le pays et le prît pour juge entre le roi et elle. C’est un premier effort, un peu tardif, pour ramener dans le sens d’une révolution démocratique le torrent, maintenant gonflé à nouveau, des énergies populaires que la Gironde rêvait de répandre sur le monde ;

« Si l’Assemblée nationale prenait le parti que nous venons d’indiquer, si ce parti était sanctionné par la majorité des départements, si la nation et l’Assemblée nationale cessaient de s’occuper, non pas du complot, mais des conspirateurs (les émigrés), si elles les abandonnaient au mépris qu’ils méritent, nous les verrions se disperser d’eux-mêmes, et bientôt nous rougirions de les avoir redoutés quelques moments. »