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liberté, c’est la puissance et la gloire qui exaltent les âmes, et les premières fumées de la grande ivresse napoléonienne commencent à obscurcir les cerveaux. Écoutez Isnard : il commence par démontrer rapidement que la vigueur des démarches projetées aura pour effet de consolider la paix en effrayant les puissances ; mais il se hâte d’ajouter :

« La mesure proposée est commandée par ce que nous devons à la dignité de la nation.

« LE FRANÇAIS EST DEVENU LE PEUPLE LE PLUS MARQUANT DE L’UNIVERS, il faut que sa conduite réponde à sa nouvelle destinée. Esclave, il fut intrépide et grand ; libre, serait-il faible et timide ? (Applaudissements.) Sous Louis XIV, le plus fier des despotes, il lutta avec avantage contre une partie de l’Europe : aujourd’hui que ses bras sont déchaînés, craindrait-il l’Europe entière ? »

« Traiter tous les peuples en frères, respecter leur repos, mais exiger d’eux les mêmes égards ; ne faire aucune insulte, mais n’en souffrir aucune ; ne tirer le glaive qu’à la voix de la patrie, mais ne la renfermer qu’au chant de la victoire (Applaudissements) ; renoncer à toute conquête, mais vaincre quiconque voudrait la conquérir ; fidèle dans ses engagements, mais forçant les autres à remplir les leurs ; généreux, magnanime dans toutes ses actions, mais terrible dans ses justes vengeances ; enfin, toujours prêt à combattre, à mourir, à disparaître même tout entier du globe plutôt que de se remettre aux fers ; voilà je crois, quel doit être le caractère du Français devenu libre. (Applaudissements répétés.)

« Ce peuple se couvrirait d’une honte ineffaçable, si son premier pas dans la brillante carrière que je vois s’ouvrir devant lui était marqué par la lâcheté : je voudrais que ce pas fût tel qu’il étonnât les nations, leur donnât la plus sublime idée de l’énergie de notre caractère, leur imprimât un long souvenir, consolidât à jamais la Révolution et fît époque dans l’histoire. (Applaudissements.)

« Et ne croyez pas, Messieurs, que notre position du moment s’oppose à ce que la France puisse, au besoin, frapper les plus grands coups. « On se trompe, dit Montesquieu, si l’on croit qu’un peuple qui est en état de révolution pour la liberté est disposé à être conquis ; il est prêt au contraire à conquérir les autres. » Et cela est très vrai, parce que l’étendard de la liberté est celui de la victoire, et que les temps de la révolution sont ceux de l’oubli des affaires domestiques en faveur de la chose publique, du sacrifice des fortunes, des dévouements généreux, de l’amour de la patrie, de l’enthousiasme guerrier. Ne craignez donc pas, Messieurs, que l’énergie du peuple ne réponde pas à la vôtre ; craignez, au contraire, qu’il ne se plaigne que vos décrets ne répondent pas à tout son courage. (Applaudissements.)

«…Non, nous ne tromperons pas ainsi la confiance du peuple. Levons-nous, dans cette circonstance, à toute la hauteur de notre mission. Parlons à