Page:Jaurès - Histoire socialiste, II.djvu/121

Cette page a été validée par deux contributeurs.

mélange admirable et trouble d’exaltation héroïque et d’énervement. La France de la Révolution était prête à jeter un défi au monde pour défendre sa liberté ; elle était prête, suivant les paroles mêmes de Rühl, « à s’ensevelir sous les ruines du temple » plutôt que de livrer son droit. Elle voulait lutter, oser, « dussent même toutes les puissances de l’enfer s’armer contre elle, pour la replonger dans le gouffre affreux de l’esclavage ». Mais il lui manquait une forme suprême du courage : l’héroïsme tranquille, qui attend l’évidence du danger et qui ne se hâte pas vers le péril par une sorte de fascination maladive et de fiévreuse impatience.

Il y avait comme une hâte d’en finir qui suppose un admirable élan des forces morales, mais aussi un commencement de trouble. Ah ! quel service incomparable aurait rendu à la France l’homme ou le parti qui aurait su lui maintenir cette animation héroïque, mais en lui donnant plus de patience et de clairvoyance !

Mais il était peut-être au-dessus de l’humanité que toute une nation eût cette admirable sagesse dans cette admirable ferveur et cette parfaite possession de soi-même jusque dans l’ardeur sublime de se donner.

Le 29 novembre, deux jours après le discours de Daverhoult, le Comité diplomatique, entraîné par l’animation croissante des esprits, se rallia à la motion Daverhoult.

Il en sentait pourtant le danger et il essayait de l’atténuer un peu : Il demanda qu’on ne sommât point les électeurs du Rhin d’avoir à disperser les rassemblements dans le court délai de trois semaines.

« Il n’a pas paru sage à votre comité de recourir, dès à présent, à des voies menaçantes et offensantes avant d’avoir épuisé celles d’honnêteté que l’usage a consacrées entre les nations.

« Un pareil procédé serait d’autant moins juste que nous croyons pouvoir annoncer avec certitude qu’un grand nombre de princes et d’États de l’Empire ne demanderaient pas mieux que d’être débarrassés de ces fugitifs qui les molestent, et qu’ils sont eux-mêmes à soupirer après le moment où le calme renaîtra sur nos frontières. »

C’était la vérité même, mais que signifiait alors tout cet appareil de menace et de drame ?

Étrange tentation de solliciter la nuée dormante jusqu’à ce que l’éclair de la guerre ait jailli. Et que pouvaient ces timides réserves à l’heure où les esprits semblaient se charger d’électricité ?

Isnard, une fois de plus, s’abandonna à son enthousiasme guerrier, et jamais il ne fut plus éloquent, jamais aussi il ne fut plus dangereux. Déjà ce qui va se mêler bientôt d’orgueil brutal, de nationalisme guerrier à la Révolution française éclate dans sa parole : on dirait, à l’entendre, que la Révolution a hérité de la superbe de Louis XIV : il parle d’affranchir le monde avec un accent de conquête et un air de supériorité : ce n’est plus la seule