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personnelle seraient abolis sans indemnité, et que les autres pouvaient être rachetés. J’ai signalé tout de suite, et dès le 4 août, la difficulté immense que la clause du rachat allait opposer à la libération paysanne. Mais l’Assemblée elle-même, en mars 1790, aggrava doublement la difficulté de cette libération. D’abord il y avait un grand nombre de servitudes personnelles qui avaient pris la forme d’une redevance pécuniaire. Les nobles, les seigneurs avaient affranchi des serfs, ou ils les avaient dégagés de certaines obligations personnelles. Mais ils avaient exigé comme prix de cet affranchissement, soit des redevances foncières annuelles, soit des redevances éventuelles, comme celles des lods et ventes, qui étaient dues par le censitaire à chaque mutation du domaine. Du moment que la servitude personnelle était abolie sans indemnité, il semblait que les redevances, qui étaient comme le prolongement et la forme nouvelle de cette servitude, devaient être aussi abolies sans indemnité.

L’Assemblée décida autrement : elle les fit entrer dans la catégorie des droits rachetables. En second lieu, l’Assemblée rendit le rachat presque impossible aux paysans en faisant de toutes les charges dont il était admis à se racheter un bloc indivisible. Sans doute, l’Assemblée paraissait libérer les paysans en les autorisant à racheter toutes les rentes foncières, et même à racheter les baux indéfinis, comme le bail à comptant des régions de la Loire-Inférieure, comme le bail de locatairerie perpétuelle usité en Provence et en Languedoc. Mais le paysan ne pouvait racheter les rentes foncières, il ne pouvait racheter les charges annuelles qui pesaient sur lui, comme le cens, le champart, sans racheter, en même temps, les droits éventuels comme les droits de lods et ventes.

Du coup, toute l’opération du rachat était comme arrêtée. D’abord, il était malaisé aux paysans de trouver les sommes nécessaires pour racheter à la fois tous ces droits. De plus, si le paysan pouvait à la rigueur se résigner à un sacrifice immédiat pour se délivrer d’une charge immédiate, annuellement ressentie, il était difficile d’obtenir de lui qu’il avançât une somme assez forte pour racheter un droit comme celui des lods et ventes dont l’application n’était qu’éventuelle et pouvait être lointaine. C’était d’autant plus difficile que le paysan ayant vu tomber dans le grand ébranlement révolutionnaire beaucoup de puissances anciennes et de droits anciens, pensait naturellement que d’autres obligations pouvaient se rompre, que le droit de lods et ventes pouvait être à son tour emporté par la tourmente, et qu’il y aurait duperie pour lui à racheter d’avance un droit qui, bientôt peut-être, serait aboli sans indemnité.

Évidemment l’Assemblée, très respectueuse de la propriété sous toutes ses formes, même féodale, avait craint, si les paysans pouvaient racheter d’abord les charges annuelles sans racheter les charges éventuelles, qu’ils prissent un tel sentiment de la pleine propriété que lorsque surviendrait le