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Le projet de décret soumis par lui était à la fois mesuré et vague :

« L’Assemblée nationale, après avoir entendu son Comité diplomatique, considérant que les rassemblements, les attroupements et les enrôlements des fugitifs français, que favorisent les princes d’Empire, dans les cercles du Haut et du Bas-Rhin, de même que les violences exercées en différents temps contre des citoyens français sur le territoire de l’évêché de Strasbourg, au delà du Rhin, soit des attentats contre le droit des gens et des contraventions manifestes aux lois publiques de l’Empire, qu’ils ne sauraient non plus se concilier avec l’amitié et le bon voisinage que la nation française désirerait d’entretenir avec tout le corps germanique, décrète que le pouvoir exécutif sera invité de prendre les mesures les plus promptes et les plus efficaces vis-à-vis des puissances étrangères pour faire cesser ces désordres, rétablir la tranquillité sur la frontière et obtenir des réparations convenables des outrages dont les citoyens de Strasbourg ont été plus particulièrement les victimes. »

Modéré, ai-je dit, et d’intention pacifique, dangereux pourtant, car c’était la voie ouverte à tous les hasards. Il n’y avait à ce moment-là qu’une chance de paix, c’était de dire : « Négligeons, dédaignons les intrigues des émigrés, ne nous engageons pas pour les atteindre dans des négociations qui peuvent conduire à la guerre ; préparons-nous seulement à nous défendre, et donnons à la Révolution une grande force au dedans : l’écume de l’émigration se brisera contre ce roc. » Voilà le langage de la paix ; tout le reste, même sous les formes les plus modérées, était, qu’on le voulût ou non, amorce de guerre, germe de guerre. Mais le 6 novembre il n’y avait pas encore, chez les démocrates, un parti de la paix.

L’absence de Robespierre, le silence de Marat sur les choses du dehors duraient toujours. C’est pourtant à ces débuts incertains de la politique belliqueuse qu’il aurait fallu s’opposer d’emblée : la modération même des premières formules et des premières démarches ne servait qu’à aggraver le péril en le déguisant. Déjà le 27 novembre, Rühl et Daverhoult haussent le ton, et c’est l’amour-propre de la nation qu’ils s’appliquent à aiguillonner. De plus, tandis que Brissot tenait encore compte, dans son discours du 21 octobre, de l’état complexe des choses et des esprits, ne peignait qu’une Europe à demi belliqueuse, Rühl et Daverhoult, tout en raillant les émigrés, dénoncent les desseins guerriers des souverains et surexcitent les alarmes par des affirmations que nous savons aujourd’hui plus qu’à moitié fausses. Rühl dit à l’Assemblée :

« Il n’y a donc, Messieurs, dans toute la vaste étendue de la Germanie que trois prêtres, qui se préparent à lancer la foudre contre vous et à convertir la France entière en un monceau de cendres, et après avoir exterminé la race des mécréants dont la surface est couverte. Son Altesse Éminentissime Monseigneur le baron d’Erthal, archevêque-électeur de Mayence qui, de son