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LA LÉGISLATIVE

I

D’UNE ASSEMBLÉE À L’AUTRE. — LE MOUVEMENT PAYSAN

Les opérations électorales pour la nomination de l’Assemblée législative avaient commencé avant le départ du roi. Elles furent suspendues pendant quelques semaines pendant la crise, puis elles s’achevèrent sans trouble. Comment le problème apparaissait-il alors aux électeurs et aux élus ? Et comment la Révolution, désencombrée, pour ainsi dire, de la majestueuse puissance de la Constituante, allait-elle se développer ? Au risque de ralentir la marche dramatique des événements, nous devons nous demander d’abord quel était l’état d’esprit exact des grandes masses paysannes, quels vœux, quels griefs formulèrent les cultivateurs dans les assemblées primaires ou dans les réunions d’électeurs, quel mandat ils donnèrent à leurs élus. Mais il n’y eut pas de cahiers, il n’y eut même pas, à proprement parler, de programmes dans les élections de 1791, et nous ne pouvons recueillir, comme en 1789, la pensée authentique de la France paysanne. Pourtant, il est certain que les cultivateurs s’étaient entretenus souvent avec les nouveaux élus des questions qui intéressaient la vie rurale.

Les nouveaux députés étaient, en grand nombre, membres des administrations révolutionnaires, municipalités, districts, départements ; beaucoup étaient, en même temps, des hommes de loi. À tous ces titres, ils étaient très avertis des difficultés qu’avait pu rencontrer l’application des lois révolutionnaires et aussi des lacunes, des vices qui, selon les paysans, contrariaient trop souvent l’effet espéré de ces lois. Notamment à propos de l’abolition du régime féodal, si solennellement proclamée par les décrets du 4 août 1789 et si imparfaitement réalisée par le décret du 15 mars 1790, la déception était vive dans les campagnes, et il est hors de doute que dans les entretiens multiples, quotidiens des administrateurs révolutionnaires avec les paysans, la question fut souvent débattue et, à coup sûr, des engagements furent pris par les nouveaux élus. La preuve décisive, c’est que, dès le mois d’avril 1792, au moment même où elle touchait à la terrible crise de la guerre, la Législative entend un rapport de son Comité des droits féodaux, qui propose, dans l’intérêt des paysans, une transformation profonde de la législation sur la matière.

Comment se posait la question ? J’essaierai d’y répondre en m’aidant du livre de M. Doniol, surtout du beau travail de M. Sagnac sur « la législation civile de la Révolution française », et au moyen des documents législatifs soigneusement interrogés.

L’Assemblée, en août, avait proclamé que tous les droits de servitude