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« En dépit des assurances pacifiques de Montmorin, et de son propre aveu, nous avons donc toujours contre nous les puissances dont nous avions à craindre des projets hostiles ; après un pareil aveu, était-ce bien la peine d’entreprendre de nous bercer encore ? Mais que dis-je ? sa retraite soudaine est le plus sûr indice que nous sommes sur le point d’être attaqués par ces puissances si pacifiques. Aujourd’hui qu’une explosion terrible va mettre le sceau de l’évidence à ses impostures et à ses machinations, il tremble que chaque instant ne vienne à découvrir toute la noirceur des manœuvres criminelles qu’il a employées pour nous les mettre sur les bras, et il se joue de la loi de responsabilité en échappant, par la fuite, à sa trop juste punition. »

Mais si Marat se trompe sur les dispositions des puissances en ce moment du moins évite-t-il loin ce qui peut créer des chances de guerre. Il ramène à leur vraie valeur les mesures de l’Assemblée contre les émigrants. Il montre qu’elles seront vaines, que l’essentiel est de combattre, en France même, le pouvoir royal. »

Il écrit le 12 novembre :

« Le lecteur irréfléchi aura sans doute été scandalisé de mon jugement sur le décret contre les émigrés contre-révolutionnaires ; et cela doit être, il faut des lumières que le commun des hommes n’a pas pour en apercevoir les vices à travers des apparences de sévérité, bien propres à en imposer à la multitude qui ne pense pas. Faites retentir aux oreilles du peuple les grands mots d’amour de la patrie, de monarchie, de liberté, de défense des droits de l’homme, de souveraineté de la nation ; peu en peine si les fripons qui les ont dans la bouche s’en servent pour l’enchaîner, il les applaudit à tout rompre… Que sera-ce si vous paraissez sévir contre des hommes qu’il est habitué à regarder comme ses ennemis, comme des traîtres et des conspirateurs ? À l’ouïe de la confiscation des biens de ceux qui seraient condamnés, il a poussé des cris d’allégresse, sans s’embarrasser s’il le seront jamais. À l’ouïe de la peine de mort portée contre les chefs des conjurés, il a fait éclater ses transports sans songer si cette peine pourra jamais les atteindre…

Que faire, me disait un patriote un peu revenu de sa joie, à l’ouïe de mon commentaire sur le décret qu’il me remit ? — Nous préparer à la guerre civile, qui est enfin inévitable, l’attendre et commencer par écraser nos ennemis du dedans, qui occupent toutes les places d’autorité et de confiance ; ce n’est qu’après les avoir exterminés que nous pourrons agir avec efficacité contre nos ennemis du dehors, quelque nombreux qu’ils soient. Avant cela, tout ce que nous entreprendrons sera complètement inutile ; car à supposer le législateur enfin déterminé à sauver la France et à faire triompher la liberté (ce que je suis bien loin de croire), quel fonctionnaire public chargera-t-il de l’exécution de ses décrets qui ne soit vendu ou prêt à se vendre au prince ? Or le prince lui-même est le chef des conspirateurs contre la patrie. Tant