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HISTOIRE SOCIALISTE

Étrange dictature ouvrière qui surgit soudain en pleine servitude d’ancien régime, comme pour annoncer les grands drames sociaux qui succéderont à la Révolution elle-même ! Fantastique éclair qui, des hauteurs orageuses de la Croix-Rousse, va illuminer au loin, par delà la Révolution bourgeoise, l’âpre et vaste terrain de lutte où se déploieront pour une Révolution nouvelle les sombres masses du travail ! Mais éclair fugitif et furtif, bientôt éteint ! Vacillante lueur de colère et de rêve qui ne pouvait guider encore le prolétariat naissant, disséminé dans la nuit ! La conscience ouvrière n’était pas encore un foyer autonome de pensée et de vie : il ne s’échappait d’elle que des étincelles de passion : elles tourbillonnaient un moment dans le vent d’orage, au-dessus de la cité, puis elles retombaient comme une triste cendre mêlée à la poussière stérile des chemins.

Vue du pont Morand
(D’après une estampe de la Bibliothèque Nationale.)


Les soldats du roi eurent bientôt raison de l’émeute ; les règlements de dictature ouvrière furent brisés ; deux ouvriers furent pendus, les autres furent accablés de lourdes amendes ; et dans les hautes maisons de la Croix-Rousse, où montaient les brouillards du Rhône, les pauvres lampes des tisseurs se rallumèrent, étoilant la nuit triste de leur cercle fumeux. En 1786, reprise de la lutte. C’est l’émeute « des deux sous ». Les ouvriers demandaient un relèvement du prix des façons, 2 sous par aune pour les étoffes unies, 3 ou 4 sous pour les autres étoffes.

liv. 12. ― histoire socialiste.
liv. 12.