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HISTOIRE SOCIALISTE

est encore mêlée à la vie agricole. Voici le tableau que Roland de la Platière trace de l’industrie en Picardie et il était vrai, en ses principaux traits, de la plupart des provinces : « En Picardie, on produit des étoiles de laine, des velours, des toiles, des bonneteries. Des vingt cinq mille métiers battant dans le département, il n’en est guère que six mille cinq cents dans l’enceinte des villes ; celle d’Amiens en renferme environ cinq mille ; celle d’Abbeville, mille. Une partie des métiers des villes et presque tous ceux de la campagne sont mis bas dans le temps de la moisson ; la coupe des foins, celle des bois, les semailles et autres travaux ruraux les font aussi chômer beaucoup dans les villages : et tout compris, on peut les considérer comme ne travaillant guère que huit mois de l’année. C’est, sans doute, pour le dire en passant, de toutes les manufactures la plus heureusement et la plus fructueusement établie, que celle qui laisse les bras qui s’en occupent à l’agriculture lorsqu’elle l’exige. Cet accord, outre la santé qui en résulte, double l’aisance par les secours mutuels et réciproques que se prêtent l’une et l’autre. La population est toujours grande où il y a à vivre et il y a toujours à vivre où il y a à gagner. En général on peut compter depuis l’état de la matière au sortir des mains du cultivateur jusqu’au moment d’user d’une étoffe dix personnes occupées par métier. »

« De ce nombre nous supposons deux ouvriers faits, deux femmes ou filles faites, uniquement occupés de cet objet ; les autres sont des enfants, des vieillards ou des femmes tellement distraites par les soins du ménage que leur travail ne peut être considéré que comme celui des enfants ; il en est beaucoup dans ce dernier cas. Dans les villes, le taux commun des journées d’hommes est de vingt sols ; celui des femmes de dix, et celui des enfants de cinq. Dans les campagnes, ce taux est dans le premier cas de 17 à 18 sols ; dans le second, de huit à neuf et dans le troisième, de trois, quatre à cinq : et nous estimons que les deux cent cinquante mille personnes employées aux fabriques dans le département et qui, de ce travail, en font vivre deux cent cinquante mille autres ou leur donnent l’aisance, chacune gagne par an :

Les cinquante mille ouvriers à 140 l……  7.000.000 livres.
Les cinquante mille ouvrières……  3.500.000 »
Les cent mille enfants……  6.000.000 »
Total de la main d’œuvre…… 16.500.000 »
Profit des entrepreneurs et marchands……  2.500.000 »     »     »

Nous n’avons pas à discuter ici les conceptions économiques et industrielles de Roland. Tant bien que mal il essaie de concilier sa passion pour Jean-Jacques, prêchant le retour à la nature, et sa passion pour le développement de l’industrie.

Il parle volontiers, quand il se met à philosopher, de l’industrie « féconde et perverse », et on retrouve aisément le même état d’esprit chez