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VI
HISTOIRE SOCIALISTE

Il y aura un grand intérêt aussi à ce que les chercheurs locaux, dirigés et stimulés par la société d’Histoire de la Révolution française, s’enquièrent le plus possible de ce qu’est devenu, aussitôt après les ventes, l’immeuble rural ou urbain acquis par le bourgeois ou le paysan, quelle transformation il a subie, quelle affectation il a reçue. J’ai pu noter incidemment, d’après les journaux de l’époque, à quelle sorte de commerce avaient été affectés, immédiatement après les ventes, certains couvents de Paris. Si l’on constatait avec précision en beaucoup de villes, la transformation des abbayes, des réfectoires, des chapelles, en magasins ou en ateliers et si on savait quels ateliers, on surprendrait jusque dans le détail l’extraordinaire effervescence économique qui a été l’effet de la Révolution.

Enfin, outre les cahiers paysans des paroisses, outre les registres des ventes des biens nationaux, il importerait, au plus haut degré, de publier tous les documents relatifs aux subsistances, toutes les pièces de correspondance du comité des subsistances, tous les arrêtés, tous les tableaux, toutes les lettres et pétitions relatifs à l’établissement et au fonctionnement du maximum. C’est une mine éblouissante de richesse. Quiconque y pourrait longuement et commodément fouiller, en extrairait sur l’état des industries, sur le prix des objets de tout ordre, objets fabriqués et matières premières, sur le salaire, sur les rapports du capital fixe et du capital variable en chaque branche de la production, sur l’activité ou la langueur des manufactures, sur les revendications des manouvriers et les conceptions économiques et sociales de la Révolution, les renseignements les plus décisifs. Le travail très consciencieux d’ailleurs de M. Biollay laisse échapper des éléments innombrables. Mais comment tirer parti de toutes ces richesses tant qu’elles ne sont pas scientifiquement classées, centralisées et publiées ? J’ai étudié avec soin les documents de cet ordre qui sont aux archives du Tarn ; j’en ai fait photographier plusieurs, que je donnerai dans le volume sur la Convention et qui montrent le maximum en action dans les plus petites communes rurales.

J’essaie d’extraire des Archives de Paris le plus de richesses que je peux. Mais il est impossible, en effet, au chercheur, de tirer de ces richesses tout le parti qui pourrait en être tiré. Non seulement, comme le dit M. Aulard, parce que dans l’état présent de dispersion des sources, la vie d’un homme ne suffirait point à les épuiser, mais parce qu’il faudrait pouvoir comparer les tableaux des prix de région à région, de ville à ville, de façon à saisir toutes les diversités de la fabrication et toutes les variations de la main d’œuvre. Mais tous ces tableaux, il est matériellement impossible de les transcrire et de les rapprocher.

Seul, un grand effort collectif pourra aboutir à une vaste publication où toutes les données économiques et sociales seraient rassemblées sous le regard patient et l’analyse méthodique des chercheurs. C’est l’Office du travail, habitué aux statistiques des salaires et des prix, aux enquêtes industrielles et aux recensements professionnels, qui devrait être pourvu de crédits suffisants pour assumer, d’accord avec la société d’Histoire de la Révolution, l’immense et nécessaire travail qui nous permettrait enfin de surprendre au vif un extraordinaire mouvement social. Tout est à faire dans cette direction. M. Taine n’ayant guère songé à fouiller les Archives que pour compter le nombre de carreaux cassés, sous la Révolution, par les émeutes populaires.

Mais, s’il est vrai que des instruments nécessaires de travail et des moyens décisifs d’information manquent encore à ceux qui cherchent, comme nous, à représenter non pas la vie économique de la Révolution, mais sa vie totale, à la fois politique et économique, il ne faudrait pas cependant, sous l’impression des paroles de M. Aulard, imaginer que l’historien est complètement démuni.

D’abord, s’il ne peut épuiser les Archives, il peut du moins s’y orienter assez pour dégager quelques grandes et claires perspectives. Et surtout bien des textes connus, dès longtemps publiés, les discours des Assemblées, les rapports des Commissions et des ministres, les opinions imprimées des députés, les journaux, prennent un sens tout nouveau et révèlent des faits jusque-là insoupçonnés, quand on les lit avec la préoccupation des questions économiques. On est étonné aujourd’hui et presque scandalisé, des lacunes ou des naïvetés extraordinaires qui abondent dans l’œuvre des plus