Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/756

Cette page a été validée par deux contributeurs.
746
HISTOIRE SOCIALISTE


« Ce plein pouvoir sera écrit en encre blanche et remis le plus tôt possible à la personne qui remettra cette lettre. »

C’était l’aliénation de la monarchie et de la France elle-même au profit des princes. Louis XVI ne se résigna point à aller jusque-là : et il adressa à ses frères, le 7 juillet, une lettre de confiance, non pas un blanc-seing absolu : « Je m’en rapporte absolument à la tendresse de mes frères pour moi, à leur amour et à leur attachement pour leur patrie, à l’amitié des princes souverains mes parents et alliés, et à l’honneur et à la générosité des autres souverains pour convenir ensemble de la manière et des moyens à employer dans les négociations dont le but doit tendre au rétablissement de l’ordre et de la tranquillité dans le royaume ; mais je pense que tout emploi de forces… (des mots manquent) ; que, placé en arrière des négociations, je donne tout pouvoir à mes frères de traiter dans ce sens-là avec qui ils voudront et de choisir les personnes à employer dans ces moyens politiques. »

Quelles ambiguités ! quelles incertitudes ! quels appels de trahison réfrénés par la peur ! Et comme il eût été plus simple et plus sage, aussi bien que plus honnête, d’accepter loyalement l’œuvre constitutionnelle de la France ! La reine, commentant cette lettre du roi, écrit à Fersen à la même date du 8 juillet, pourquoi on ne peut donner les pleins pouvoirs absolus : « Le roi pense que la prison resserrée où il est retenu et l’état de dégradation totale où l’Assemblée nationale a porté la royauté, en ne lui laissant plus exercer aucun acte quelconque, est assez connu des puissances étrangères pour qu’il soit besoin de l’expliquer ici. »

« Le roi pense que c’est par la voie des négociations seules que leur secours pourrait être utile à lui et à son royaume ; que la démonstration des forces ne doit être que secondaire, et si l’on se refusait ici à toute voie de négociation. »

« Le roi pense que la force ouverte, même après une première déclaration, serait d’un danger incalculable, non seulement pour lui et sa famille, mais même pour tous les Français qui dans l’intérieur du royaume ne pensent pas dans le sens de la révolution. Il n’y a pas de doute qu’une force étrangère ne parvienne à entrer en France, mais le peuple armé, comme il est, en fuyant les frontières et les troupes du dehors, se servirait dans l’instant de leurs armes contre ceux de leurs concitoyens que depuis deux ans on ne cesse de leur faire regarder comme leurs ennemis.

« Le roi pense qu’un plein pouvoir illimité tel qu’il est composé, même en le datant du 20 de juin, serait dangereux pour lui, dans l’état où il se trouve. Il est impossible qu’il ne fût pas communiqué, et tous les cabinets ne sont pas également secrets. »

« On annonce que d’ici à quinze jours les articles regardés comme constitutionnels seront présentés au roi, qu’alors on le mettra en liberté, le laissant maître d’aller où il voudra, pour qu’il se décide à les accepter, oui ou non,