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HISTOIRE SOCIALISTE

Elle sentait bien, malgré tout, ce qu’il y avait de factice dans la solution adoptée par elle. Proclamer que Bouillé était le principal coupable et mettre le roi hors de cause c’était un expédient qui laissait à coup sûr du trouble dans l’esprit du législateur lui-même.

Aussi, comme il arrive toujours aux pouvoirs qui ne sont pas bien contents d’eux-mêmes, l’assemblée voulut imposer le silence et traiter comme des factieux tous les protestataires. Dans la séance du 16 juillet elle manda à sa barre les officiers municipaux, les accusateurs publics, les ministres : et elle leur donna l’ordre de réprimer avec vigueur toute agitation. Le maire Bailly fut spécialement appelé, et plusieurs députés se plaignirent que la veille et le matin même la municipalité eût manqué de fermeté. Funestes reproches qui contribuèrent sans doute beaucoup aux tristes événements du lendemain.

Les Cordeliers avaient décidé en effet de porter au Champ-de-Mars une pétition plus énergique. Les Jacobins, envahis, la veille, au soir, par un flot de manifestants venus du Palais-Royal, s’étaient séparés sans prendre de décision ; mais le peuple, dont l’animation croissait, alla, en assez grande masse, au Champ-de-Mars : toute l’après-midi, la pétition se couvrit de signatures. Elle était ainsi conçue :

« Sur l’autel de la Patrie, le 17 juillet, l’an III (de la Révolution).

« Représentants de la Nation,

« Vous touchiez au terme de vos travaux ; bientôt des successeurs, tous nommés par le peuple, allaient marcher sur vos traces sans rencontrer les obstacles que nous ont présentés les députés de deux ordres privilégiés, ennemis nécessaires de tous les principes de la sainte égalité. Un grand crime se commet : Louis XVI fuit ; il abandonne indignement son poste ; l’Empire est à deux doigts de l’anarchie. Des citoyens l’arrêtent à Varennes ; il est ramené à Paris.

« Le peuple de cette capitale vous demande instamment de ne rien prononcer sur le sort du coupable sans avoir entendu l’expression du vœu des quatre-vingt-trois autres départements.

« Vous différez.

« Une foule d’adresses arrivent à l’Assemblée ; toutes les sections de l’Empire demandent simultanément que Louis soit jugé. Vous, Messieurs, avez préjugé qu’il était innocent et inviolable, en déclarant, par votre décret d’hier, que la Charte constitutionnelle lui sera présentée alors que la Constitution sera achevée.

« Législateurs, ce n’était pas là le vœu du peuple, et nous avions pensé que votre plus grande gloire, que votre devoir même consistait à être les organes de la volonté publique.

« Sans doute, Messieurs, que vous avez été entraînés à cette décision