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HISTOIRE SOCIALISTE

donc plus se dissimuler que la royauté, que la royauté héréditaire surtout, est incompatible avec la liberté. »

« Telle est son opinion : elle en est comptable à tous les Français. Elle prévoit qu’une telle proposition va faire lever une légion de contradicteurs, mais la Déclaration des Droits elle-même n’a-t-elle pas éprouvé des contradictions ? — Quoi qu’il en soit, cette question est assez importante pour mériter une discussion sérieuse de la part des législateurs. Déjà ils ont manqué une fois la révolution par un reste de condescendance pour le fantôme de la royauté (sans doute après le 14 juillet), il a disparu ce fantôme ; agissons donc sans crainte et sans terreur et tâchons de ne pas le faire revivre. »

« La Société des Droits de l’homme et du Citoyen n’aurait peut-être pas de sitôt demandé la suppression de la royauté si le roi, fidèle à ses serments, s’en fût fait un devoir, si les peuples, toujours dupes de cette institution funeste au genre humain n’eussent enfin ouvert les yeux à la lumière.

« Mais aujourd’hui que le roi, libre de garder la couronne, l’a volontairement abdiquée, aujourd’hui que la voix publique s’est fait entendre, aujourd’hui que tous les citoyens sont désabusés, nous nous faisons un devoir de servir d’organe à leur intention en demandant instamment et à jamais la destruction de ces fléaux de la liberté. »

« Législateurs, vous avez une grande leçon devant les yeux : sachez bien qu’après ce qui vient de se passer, il est impossible que vous parveniez à inspirer au peuple aucun degré de confiance dans le fonctionnaire appelé roi et d’après cela nous vous conjurons, au nom de la patrie, ou de déclarer sur le champ que la France n’est plus une monarchie, qu’elle est une république, ou au moins d’attendre que tous les départements, que toutes les assemblées primaires, aient émis leur vœu sur cette question importante avant de penser à replonger une seconde fois le plus bel empire du monde dans les entraves du monarchisme. »

Voilà qui est net : c’est le premier manifeste populaire et politique de la République dont Condorcet formulait le manifeste philosophique.

Le lendemain 23 juin, Danton de sa voix puissante, proclamait aux Jacobins que le roi était un criminel, ou un imbécile ; or « l’individu royal ne peut plus être roi, dès qu’il est imbécile, et ce n’est pas un régent qu’il faut, c’est un conseil à l’interdiction.

« Le conseil ne peut être pris dans le corps législatif. Il faut que les départements s’assemblent, que chacun d’eux nomme un électeur, que ces électeurs nomment ensuite les dix ou douze membres qui devront composer ce conseil, et qui seront changés, comme les membres de la législature, tous les deux ans. »

En fait, sous la forme sarcastique d’un conseil judiciaire pour la royauté imbécile, c’était l’organisation définitive du pouvoir exécutif républicain que proposait Danton : il était déjà l’homme du 10 août ; et sa clairvoyante et