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HISTOIRE SOCIALISTE

Il est inutile de relever le ton dédaigneux et presque insultant de Barnave. C’est le fait seul qu’il importe de retenir. Barnave ajoute :

« Tandis que Paris applaudissait à ce décret (qui mettait le roi hors de cause), les Jacobins s’en indignèrent ; ils proclamèrent hautement l’insurrection, ils admirent dans leur sein une multitude d’ouvriers, qu’ils appelèrent la nation et les incitèrent à la révolte. »

Ainsi tandis que Barnave et les chefs de la bourgeoisie modérée font appel « aux propriétaires et aux hommes pensants » pour maintenir la Constitution malgré la fuite du roi, et pour raffermir la monarchie, les bourgeois démocrates ouvrent leurs rangs aux ouvriers pour commencer la lutte contre le pouvoir royal. Pendant que l’Assemblée discutait, des pétitions, les unes violentes, d’autres plus mesurées, étaient proposées aux Cordeliers et aux Jacobins. Les Cordeliers, dès le départ du roi, allaient droit à la République. « Nous étions esclaves en 1789, nous nous étions crus libres en 1790, nous le sommes à la fin de 1791. »

« Législateurs, vous aviez distribué les pouvoirs de la nation que vous représentez ; vous aviez investi Louis XVI d’une autorité démesurée ; vous aviez consacré la tyrannie en l’instituant roi inamovible, inviolable et héréditaire ; vous aviez consacré l’esclavage des Français en déclarant que la France était une monarchie.

« Les bons citoyens ont gémi, les opinions se sont choquées avec véhémence, mais la loi existait et nous lui avons obéi, nous attendions notre salut du progrès des lumières et de la philosophie.

« Ce prétendu contrat entre une nation qui donne tout et un individu qui ne fournit rien semblait devoir être maintenu, et jusqu’à ce que Louis XVI eût été traître et ingrat, nous ne pouvions imputer qu’à nous-mêmes d’avoir gâté notre propre ouvrage.

« Mais les temps sont changés. Elle n’existe plus, cette prétendue convention d’un peuple, avec son roi. Désormais Louis XVI n’est plus rien pour nous, à moins qu’il ne devienne notre ennemi.

« Nous voilà donc au même état où nous étions lors de la prise de la Bastille : libres et sans roi. Reste à voir s’il est avantageux d’en nommer un autre.

« La Société des amis des droits de l’homme pense qu’une nation doit tout faire ou par elle ou par des officiers amovibles et de son choix ; elle pense qu’aucun individu, dans l’État, ne doit, raisonnablement, posséder assez de richesses, assez de prérogatives, pour pouvoir corrompre les agents de l’administration politique ; elle pense qu’il ne doit exister aucun emploi dans l’État qui ne soit accessible à tous les membres de l’État ; elle pense enfin que plus un emploi est important, plus sa durée doit être courte, passagère. »

« Pénétrée de la vérité, de la grandeur de ces principes, elle ne peut