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HISTOIRE SOCIALISTE

léon est une déviation révolutionnaire. En rentrant dans la politique de paix, nous rentrons dans notre vérité à nous ; nous retrouvons notre lumineux chemin marqué dès juillet 1791 par le philosophe en qui le génie du xviiie siècle s’élargissait à la mesure des événements nouveaux.

Pendant que Condorcet agitait ces spéculations sublimes et s’efforçait en vain d’amener la Constituante à la République, le peuple, en bien des points se soulevait. Aux Cordeliers, aux Jacobins, des voix irritées réclamaient la mise en jugement du roi. Les Cordeliers, sous l’inspiration de Danton, allaient plus loin. Ils demandaient qu’on en finît avec tous les rois. Dans la séance des Jacobins du 22 juin, le lendemain même du jour où avait été connue la fuite du roi, un ami de Danton, Robert, porte toute vive la pensée républicaine des Cordeliers : « J’étais à quatre heures au club des Cordeliers, je fus envoyé avec deux autres membres de ce club pour porter à la Société Fraternelle une adresse pour demander la destruction de la monarchie. »

Des cris d’indignation, dit le procès-verbal, s’élevèrent de toutes parts. Les Jacobins ne voulaient pas sortir de la légalité constitutionnelle, et Brissot, qui avait d’abord lancé un mot d’ordre de république, recula et louvoya. Robespierre, craignant d’être entraîné hors du terrain légal qui seul lui paraissait solide, continue ses symétries savantes. Il n’est ni républicain ni monarchiste. Il veut la Constitution et la liberté. Le vif courant populaire des Cordeliers semble se briser sur le roc de la légalité jacobine. Pourtant les Jacobins eux-mêmes commencent à s’ébranler. Les Cordeliers, animés par les événements, venaient plus souvent aux Jacobins, ils envoyaient des délégations, ils assistaient aux séances. Il se faisait ainsi comme un mélange de l’esprit révolutionnaire et spontané des uns, de l’esprit révolutionnaire et légal des autres.

D’ailleurs le peuple ouvrier, remué par la grandeur du drame et par les mystérieuses promesses que renfermait pour lui l’inconnu des événements, affluait dans les clubs où jusque-là la bourgeoisie seule s’était pressée. Barnave signale avec insistance et avec son habituelle netteté de vues cette soudaine pénétration des éléments prolétaires dans la Révolution bourgeoise.

« Paris, dit-il, qui depuis le départ du roi n’avait cessé d’offrir le tableau le plus imposant, fut menacé de quelques troubles à l’approche de la délibération qui devait prononcer sur l’inviolabilité ; ce n’est pas que la presque unanimité des citoyens ne fût fort tranquille, mais les Jacobins, livrés aux différents partis qui espéraient faire triompher leur système sur la condamnation de Louis XVI, étaient violemment agités. On était parvenu à soulever un assez grand nombre d’ouvriers occupés aux différents ateliers près de Paris, gens qui, quoique tous sans propriété, la plupart sans patrie connue, et souvent, à ce qu’on avait cru jusqu’alors, sans lumières politiques, parurent cependant attacher un grand intérêt à la punition du tyran. »