Page:Jaurès - Histoire socialiste, I.djvu/728

Cette page a été validée par deux contributeurs.
718
HISTOIRE SOCIALISTE

Je conclus à ce que les complices, fauteurs ou adhérents de la fuite du roi soient renvoyés à la Cour provisoire séant à Orléans, que l’activité soit rendue aux corps électoraux pour choisir vos successeurs, et qu’il soit nommé une Convention nationale pour prononcer sur la déchéance de la couronne que Louis XVI a encourue. » (Les applaudissements de la gauche et des tribunes recommencent.)

C’est déjà le langage et le ton de la Convention. Vadier envoie à Marat le texte de son discours avec prière de le publier. Qui ne croirait que l’homme qui parle du roi avec cette violence est au moins préparé à l’idée de la République ? Or, le surlendemain 16 juillet, le décret sur l’inviolabilité royale ayant été adopté, Vadier déclara à la tribune : « J’ai développé hier une opinion contraire à l’avis des comités avec toute la liberté qui doit appartenir à un représentant de la nation. Cependant je déclare que je déteste le régime républicain, je le crois subversif et inconciliable avec notre situation politique ; mais aujourd’hui que la loi est rendue et quoique je n’aie pas été d’avis de l’inviolabilité absolue du roi, je déclare qu’autant j’ai mis de zèle à soutenir mon opinion avant le décret, autant j’en emploierai aujourd’hui à en maintenir l’exécution, et s’il faut sacrifier ma vie pour le défendre en bon citoyen, je la sacrifierai de grand cœur ! » (Vifs applaudissements.)

Quel agneau ! Marat, exaspéré, l’accusa d’avoir reçu de l’or de la Cour. La vérité est simplement que Vadier était un homme de peu de consistance, que le courant monarchiste était encore très fort, et que le procédurier finaud, après s’être signalé à l’attention par un coup de réclame, rentrait prudemment dans le rang pour attendre la suite des choses. Plus tard, il se vanta de son discours contre le roi et se garda bien de rappeler son désaveu de la République. « Ce n’est pas sans indignation que j’ai vu ces vampires voraces, au mois de juillet 1791, se prosterner traîtreusement devant ce mannequin couronné, lorsqu’on le ramena de Varennes, prostituer leurs talents à le remonter sur le trône, tandis que leur devoir était de le conduire à l’échafaud ; mais ils avaient besoin de ce monstre pour assouvir leur insatiable cupidité. La minorité incorrompue du corps constituant fut interdite à la vue de cette ignominieuse coalition ; l’énergie qu’elle avait développée dans son adolescence fit place à une espèce de torpeur, déplorable effet de sa caducité. Je fus le seul qui eus la courageuse audace de proposer une Convention nationale pour juger ce roi parjure et fugitif… J’osai demander au nom de la nation outragée la tête de ce scélérat couronné. Je fus donc le seul qui osai, d’une main hardie, porter la cognée sur le colosse de la royauté, et qui osai poser la première pierre de l’édifice républicain. »

On sait ce qu’il faut penser de ces hâbleries ; mais ce qui est vrai, ce qui est à retenir, c’est la « torpeur », le défaut de vigueur de l’extrême gauche démocratique… Comment l’expliquer ? Sans doute, tout en demandant des poursuites contre le roi, elle avait le sentiment qu’il serait difficile d’obtenir