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HISTOIRE SOCIALISTE

d’éclat. Il prononça devant l’Assemblée, le 14 juillet, un discours où abondaient les réminiscences de Marat : « Le décret que vous allez rendre décidera du salut ou de la subversion de l’Empire. Un grand crime a été commis : il existe de grands coupables ! L’Univers vous contemple et la Postérité vous attend. Vous pouvez en un instant perdre ou consolider vos travaux. Il est, selon moi, une question préliminaire à celle de l’inviolabilité : c’est celle de savoir si un roi parjure qui déserte son poste, qui emmène avec lui l’héritier présomptif de la couronne, qui se jette dans les bras d’un général perfide, qui veut assassiner sa patrie, qui répand un manifeste où il déchire la Constitution ; si, dis-je, un tel homme peut être qualifié du titre de roi des Français ? L’inviolabilité ne réside plus sur sa tête depuis qu’il a abdiqué sa couronne. (Quelques membres de la partie gauche et les tribunes applaudissent.) Aucun de nous a-t-il pu entendre qu’un brigand couronné… (La grande majorité de la partie gauche murmure… Quelques applaudissements se font entendre dans la salle et les tribunes. Plusieurs membres de la partie droite se lèvent avec précipitation et menacent l’opinant.) Aucun de nous a-t-il jamais pu croire qu’un brigand couronné pût impunément massacrer, incendier, appeler dans le royaume des satellites étrangers ? Une telle monstruosité enfanterait bientôt des Néron et des Caligula ! (On entend des applaudissements.)

« Je fais une question à ceux qui proposent de remettre le roi sur le trône : Lorsqu’il s’agira de l’exécution de vos lois contre les traîtres à la patrie, sera-ce au nom d’un transfuge, d’un parjure que vous la réclamerez ? Sera-ce au nom d’un homme qui les a ouvertement violées ? Jamais une nation régénérée, jamais les Français ne s’accoutumeront à un pareil genre d’ignominie. N’est-ce donc pas assez d’avoir acquitté les déprédations de sa faiblesse, d’avoir sauvé son règne d’une infâme banqueroute ? Ses valets, dont le faste contraste tant avec le régime de l’égalité, nous accusent de parcimonie. (Les applaudissements recommencent.) La sueur et le sang de plusieurs millions d’hommes ne peuvent suffire à sa subsistance. Je ne veux pas vous rappeler ici les circonstances de son règne, cette séance royale, ces soldats envoyés pour entourer l’enceinte où vous étiez rassemblés ; en un mot, la guerre et la faim dont on voulait en même temps affliger le royaume.

« Jetons sur tous ces désastres un voile religieux. (L’agitation se manifeste dans les diverses parties de la salle.) On m’accuse de parler comme Marat ; je fréquente peu la tribune. (Plusieurs voix s’élèvent dans la partie droite : « Tant mieux ! monsieur, tant mieux ! ») Je n’ai d’autre éloquence que celle du cœur ; je dois mon opinion à mes commettants ; je la déclarerai au péril de ma vie. La nation vous a revêtus de sa confiance ; vous connaissez son vœu ; ne transigez pas, ou bien empressez-vous de rendre aux corps électoraux l’activité que vous leur avez ôtée. Mais n’allez pas vous charger d’une absolution qui ne peut que flétrir votre gloire. (Nouveaux applaudissements.)