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HISTOIRE SOCIALISTE

du décret de l’Assemblée nationale, qu’il n’avait jamais eu l’intention de sortir de la France. Je me retournai vers M. Dumas, qui était derrière moi, et je lui dis : Voilà un mot qui sauvera le royaume. »

Ce que Barnave n’ajoute pas c’est que dès le retour du Roi, il se fit son conseiller et lui suggéra ou même rédigea pour lui les habiles réponses qu’il fit aux commissaires de l’Assemblée chargés de l’interroger. L’agitation populaire et l’agitation des clubs étaient assez grandes. Mais les modérés de l’Assemblée étaient bien décidés à ne pas rouvrir l’inconnu en mettant le roi en accusation. C’est le 13 juillet que l’ordre du jour de l’Assemblée appela le rapport des comités sur les événements relatifs à l’évasion du roi et de la famille royale. Le Comité de Constitution déclara que le roi était inviolable ; que la Constitution n’avait pas prévu le délit de fuite avec une précision suffisante : que d’ailleurs si le roi pouvait facilement être mis en cause, la stabilité que les législateurs ont voulu donner au pouvoir royal par le maintien de la royauté serait sans cesse à la merci des accusateurs : que toujours les ministres devaient être responsables des actes du roi : ou que lorsque le roi agissait à l’insu de ses ministres c’étaient les conseillers, les inspirateurs de cet acte illégal qui étaient considérés par une fiction nécessaire, comme les principaux coupables.

Et c’est en ce sens que les Comités concluaient à mettre Bouillé en accusation et le roi hors de cause. Barnave fit mieux que de résumer tous ces arguments juridiques. Il fit appel, dans un discours très ample et très habile, à l’instinct conservateur des révolutionnaires de l’Assemblée : Et au fond il posa deux questions : Voulez-vous substituer la République à la monarchie ? Voulez-vous susciter une Révolution nouvelle ? « On a très bien établi les faits : mais je les prends en masse et je dis : tout changement est aujourd’hui fatal ; tout prolongement de la Révolution est aujourd’hui désastreux ; la question, je la place ici et c’est bien là qu’elle est marquée par l’intérêt national. Allons-nous terminer la Révolution ? Allons-nous la recommencer ? (Applaudissements répétés.) Si vous vous défiez une fois de la Constitution, où sera le point où vous vous arrêterez, et où s’arrêteront surtout nos successeurs ?…. »

« On nous fait un grand mal quand on perpétue ce mouvement révolutionnaire qui a détruit tout ce qui était à détruire et qui nous a conduits au point où il fallait nous arrêter….. Songez, messieurs, songez à ce qui se passera après vous. Vous avez fait ce qui était bon pour la liberté, pour l’égalité ; aucun pouvoir arbitraire n’a été épargné, aucune usurpation de l’amour-propre ou des propriétés n’est échappée : vous avez rendu tous les hommes égaux devant la loi civile et devant la loi politique ; vous avez repris, vous avez rendu à l’État tout ce qui lui avait été enlevé. De là résulte cette grande vérité que si la Révolution fait un pas de plus, elle ne peut le faire sans danger ; c’est que dans la ligne de la liberté le premier acte qui pourrait suivre serait l’anéantissement de la royauté ; c’est que dans la ligne de