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HISTOIRE SOCIALISTE

avec l’appui de l’étranger. Ils songèrent dès lors à terminer la crise en douceur sans bouleverser la Constitution, sans abolir la royauté et même sans remplacer le roi.

Au langage si prudent tenu par Barnave dans la séance même du 21 juin, c’est-à-dire sous le coup immédiat de la nouvelle du départ, il est clair que dès ce moment il inclinait à cette solution. Il se peut, comme le disent ses adversaires, qu’il ait été fasciné par la beauté et ému par la douleur de la reine, pendant le voyage où il l’escortait, mais c’est bien dans une vue politique, c’est bien, comme il avait coutume de le dire, pour « achever la Révolution » qu’il conseille à tous ses amis de mettre le roi hors de cause et de lui restituer son pouvoir.

Il a d’ailleurs lui même, dans ses mémoires, expliqué sa conduite et analysé, de son point de vue, l’état des esprits : « L’assemblée ne se livra point à cette précipitation, à cette affluence de mesures désespérées qui n’annoncent que la faiblesse ; mais elle pourvut à tout et aucune mesure importante ne fut omise, et lorsque, deux jours après sa disparition, on apprit que le roi était arrêté à Varennes, ah ! combien, dans ce moment, le long travail de la calomnie fut promptement effacé, combien la confiance revint rapidement à ceux dont chacun, au fond de son cœur, connaissait la sincérité, le dévouement et l’inflexible courage. Ces moments sont ceux peut-être où il a été le plus facile de distinguer l’esprit des différents partis qui divisaient la gauche de l’assemblée : Tandis que quelques-uns s’abandonnaient à leurs chimères favorites, méditaient, dans des comités obscurs, les moyens de profiter de ces événements pour parvenir à l’accomplissement de leurs funestes décisions tout le reste parut tourner les yeux sur ceux qui s’étaient rendus le plus dignes de leur estime, et ces hommes qui, quelques jours auparavant, étaient en butte aux attaques des factions, se virent subitement environnés d’une confiance presque unanime et investis d’une autorité qui approchait de la dictature. »

« Je fus l’un des trois commissaires nommés pour accompagner le roi à son retour à Paris ; époque à jamais gravée dans ma mémoire, qui a fourni à l’infâme calomnie tant de prétextes, mais qui, en gravant dans mon imagination ce mémorable exemple de l’infortune m’a servi sans doute à supporter facilement les miennes. »

« Pour juger si ce fameux voyage a changé quelque chose à mes dispositions personnelles, il suffit d’examiner dans ma conduite ce qui le précède et si tout est d’accord avec ce qui l’a suivi. »

« Avant le voyage de Varennes comme depuis, je n’ai pas cru un moment que cet événement inattendu dût porter atteinte à la Constitution. Les preuves, les voici : 1o Le jour même du départ du roi, je proposai et je fis adopter à la société des Jacobins une adresse à leurs sociétés affiliées, qui finissait par ces mots : L’assemblée nationale ! voilà notre guide : La Constitution ! voilà