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HISTOIRE SOCIALISTE

maintenir, c’est parce qu’elle est la sauvegarde de leur bonheur : La Constitution lui laisse sa prérogative et son véritable caractère. Vos représentants seraient criminels s’ils avaient sacrifié 24 millions de citoyens à l’intérêt d’un seul homme »…

« La capitale peut servir de modèle au reste de la France : le départ du Roi n’a pas causé d’agitation ; et, ce qui fait le désespoir de nos ennemis, elle jouit d’une tranquillité parfaite ». (Vifs applaudissements.)

« Il est, envers les grandes nations, des attentats que la générosité seule peut faire oublier. Le peuple français était fier dans la servitude ; il montrera les vertus et l’héroïsme de la liberté. Que les ennemis de la Constitution le sachent : pour asservir de nouveau le territoire de cet Empire, il faudrait anéantir la nation. Le despotisme formera, s’il le veut, une pareille entreprise ; il sera vaincu ou à la suite de son affreux triomphe, il ne trouvera que des ruines. » (Vifs applaudissements.)

Ce sont déjà presque les accents de la Marseillaise : mais en même temps, avec une extrême prudence politique, l’Assemblée se réservait ou de constater que le Roi avait été contraint, ou de faire appel à la générosité de la nation envers ce grand attentat. Elle rappelait la nécessité de la monarchie pour un grand peuple, jusque dans le document qui accusait la royauté contre-révolutionnaire.

Mais, en cette même séance du 22 juin, une demi-heure après la lecture de l’adresse de Demeunier, des cris du dehors annoncent l’arrivée d’un courier : on entend dire confusément, note le procès-verbal : le roi est pris ! le roi est arrêté ! Les députés rentrent avec précipitation dans la salle ; une grande agitation règne dans l’Assemblée ; deux couriers entrent au milieu des applaudissements et remettent un paquet au président. Le roi était pris en effet : c’étaient des lettres des officiers municipaux de Sainte-Menehould annonçant qu’au passage le roi avait été reconnu ; et que Drouet courait à la poursuite des voitures. « Il est 3 heures du matin et ils ne sont pas encore revenus ». Mais des lettres de Châlon et de Clermont annonçaient qu’à Varenne le roi avait été arrêté.

En vain avait-il essayé d’attendrir la municipalité de Varennes. En vain les détachements de dragons, placés à Varennes, par Bouillé, avaient-ils été invités à enlever le roi ; un gros rassemblement de peuple avait obligé les dragons à se retirer ; et le roi fut ramené vers Paris. L’Assemblée ordonna immédiatement que Bouillé serait mis en état d’arrestation. Elle ordonna que le roi fût reconduit sous la protection des gardes nationales et que toutes les précautions fussent prises pour assurer sa vie. Elle dépêcha trois commissaires, Pétion, Latour-Maubourg et Barnave à la rencontre de la famille royale.

En apprenant l’arrestation du roi, les modérés de l’Assemblée se félicitèrent de n’avoir prononcé aucune parole irrévocable. Ils n’avaient plus à craindre un mouvement contre-révolutionnaire organisé et dirigé par le roi,