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HISTOIRE SOCIALISTE

sept ans produit 5.000 pièces ; la fabrique de cordages de MM. Brée et Bodichon s’étend, elle comprenait deux corderies, dix-sept magasins et occupait 1200 ouvriers et ouvrières. Les négociants armateurs, au début du règne de Louis XVI étaient au nombre de deux cents, puissante cohorte qui a de continuels conflits d’amour-propre et d’autorité avec l’arrogante noblesse bretonne. Ces négociants créditaient ou commanditaient les colons de Saint-Domingue. Aux approches de la Révolution ils étaient à découvert, pour l’ensemble des Antilles, de 50 millions et on devine avec quelle âpreté la bourgeoisie nantaise défendra le régime colonial fondé sur l’esclavage pour sauver les colons débiteurs d’un désastre qui eût entraîné sa propre ruine. Je note dans une des premières séances du club des Jacobins une députation des armateurs nantais venant protester contre toute réforme du système colonial. Mais cet égoïsme esclavagiste n’empêchait nullement la bourgeoisie nantaise, consciente de sa force croissante, de réclamer en France des garanties de liberté et de s’insurger avec l’orgueil de la fortune et la fierté du grand esprit d’entreprise contre les privilèges des hobereaux bretons. De nombreux ouvriers étaient groupés autour d’elle, prêts à entrer, sous sa direction, dans la lutte révolutionnaire contre l’insolence nobiliaire et l’arbitraire royal.

Les clouteries occupaient 400 ouvriers ; 2.400 métiers à toile battaient dans la région, dont 500 à Nantes même. La fabrication du coton dans ce pays et les premiers métiers mécaniques commençaient à apparaître. Dans les fabriques de toiles peintes travaillaient 4.500 ouvriers. Tout ce prolétariat était entraîné dans le mouvement économique et politique de la bourgeoisie, et comme emporté dans son sillage. Comme les bourgeois du Dauphiné, ce sont les bourgeois de Nantes et de Bretagne qui, avant même la convocation des États-Généraux et l’ouverture officielle de la Révolution engagent les hostilités contre l’ancien régime et ils paient bravement de leurs personnes. Le 1er novembre 1788, il était procédé à Nantes à l’élection des députés du Tiers-État qui devaient se rendre à Rennes aux États de Bretagne. C’est le bureau municipal qui était chargé de l’élection. La bourgeoisie nantaise voulut affirmer son droit. Elle ne voulait plus que les États de Bretagne fussent une parade aristocratique où le Tiers-État ne figurait que pour voter des subsides.

Elle demande au bureau municipal : 1o que le Tiers-État ait un député, avec voix délibératives par dix mille habitants ; que ce député ne puisse être ni noble, ni anobli, ni délégué, sénéchal, procureur fiscal ou fermier du seigneur ; 2o que l’élection de ces députés soit à deux degrés ; 3o que les députés du Tiers-État soient égaux en nombre à ceux des deux autres ordres, dans toutes les délibérations et que les voix soient comptées par tête ; 4o que les corvées personnelles soient abolies et l’impôt également réparti sur toutes les possessions. Mais le bureau municipal résistait, plusieurs notables étaient