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HISTOIRE SOCIALISTE

des dangers plus alarmants ; redoublez de zèle pour veiller sur le château des Tuileries et empêcher que la famille royale ne prenne la fuite. »

Enfin, par une coïncidence vraiment dramatique et qui dut donner à ce numéro du journal de Marat une puissance extraordinaire sur le peuple, voici ce que disait Marat dans le numéro du 21 juin, c’est-à-dire le matin même où Paris apprenait que les Tuileries étaient vides et que le roi était parti pendant la nuit. — « La fusée prête à se démêler.

« En attendant, l’Ami du peuple, dont le devoir est de réveiller éternellement le peuple de sa fatale léthargie et de lui mettre le feu sous le ventre pour l’empêcher de périr, ne cessera de crier que jamais les dangers n’ont été plus iminents, et que nous touchons au moment d’une explosion terrible. Tout est prêt. L’empereur est à Bruxelles le 26, où doivent se trouver le roi de Suède, plusieurs princes des cercles de l’Empire, et les deux Capet, chefs des conspirateurs fugitifs. On parle aussi de la présence de Louis XVI dans le conciliabule de ces brigands couronnés. La famille royale n’attend pour prendre la fuite, que de voir le peuple endormi. Amis de la patrie, souvenez-vous que vous êtes voués au carnage, comme des moutons à la boucherie ; souvenez-vous qu’ayant affaire à des ennemis implacables, le comble de la démence serait de ne pas les prévenir. Si le roi vous échappe, dès l’instant de sa fuite, main basse immédiatement sur tous les suppôts connus du despotisme, à commencer par les traîtres de l’Assemblée nationale, de l’état-major, de la municipalité, du département, du club monarchique, des sections, jusqu’aux mouchards de l’ancienne police, ils sont tous connus, que la race en soit anéantie à jamais. Le seul principe qui doit alors régler votre conduite, c’est qu’il n’y a rien de sacré sous le soleil que le salut du peuple. »

« Et pour que les membres pourris de la nation soient à la fois retranchés des parties saines, qu’à la nouvelle de la fugue royale, chaque ville ferme ses portes et donne la mort à tous les conjurés antirévolutionnaires. »

Mais ce n’étaient pas seulement les avertissements répétés et terribles de Marat qui auraient dû tenir en éveil la municipalité de Paris et la garde nationale. Un aide de camp de Lafayette, Gouvion, raconta à la Constituante, aussitôt après le départ du roi, que des avis pressants avaient été donnés depuis plusieurs jours sur les préparatifs de fuite de la famille royale. Bailly et Lafayette s’étaient bornés à prendre acte de ces avis, et il ne semble pas qu’ils aient ordonné des précautions exceptionnelles. Pourquoi ?

Il est absurde de supposer avec Marat qu’ils étaient dans le complot. Mais d’abord, des rumeurs de fuite leur étaient si souvent parvenues que, sans doute, ils ne s’en inquiétaient plus suffisamment. Et, surtout, ils craignaient, en répandant l’alarme parmi le peuple par leurs précautions mêmes, de provoquer et de justifier les rassemblements révolutionnaires. Ils redoutaient sans doute un renouvellement des scènes d’avril, et ils gardaient pour eux les avis alarmants qui leur étaient transmis. Ainsi s’explique que la famille