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HISTOIRE SOCIALISTE

côté de ce rêve d’extermination ? Il faudra organiser dans tout le pays, de sang-froid et au son du cor royal une battue contre les membres de l’Assemblée nationale. Et en même temps, par une merveilleuse ironie de l’histoire, la même lettre nous apprend que ce déséquilibré, forcené d’absolutisme, était mené par ses conseillers comme un enfant. Ils redoutaient ses indiscrétions et ne lui communiquaient que ce qui pouvait être connu de tous. Et ils le trompaient, le dupaient à plaisir.

Taube ayant exposé au nom du roi, ce programme d’absolutisme insensé et sanglant ajoute : « Je n’ai point entrepris d’empêcher le voyage du Roi : ç’aurait été en vain… J’ai pris une autre voie pour exciter encore davantage sa haine contre l’Assemblée nationale, qu’il déteste déjà du fond de son cœur.

« Je lui ai dit que vous m’avez prié de le prévenir, qu’il serait entouré des espions de l’Assemblée nationale qui expliqueront le moindre mot qui lui échapperait ; qu’il doit même se défier des personnes qu’il croit le mieux intentionnées et qui, par leurs indiscrétions causeraient autant de mal que les plus enragés au roi de France. Le roi m’a chargé de vous remercier de cet avis et qu’il ne se confiera à personne et que ses discours en général seront plus républicains que monarchistes, ce dont il vous prie de prévenir leurs Majestés. »

Ce détraqué qui veut qu’on coure sus à tous les députés révolutionnaires et que Paris soit supprimé, ne trouve d’autre moyen de dérouter les prétendus espions imaginés par ses conseillers que de tenir « des discours républicains ».

Et Louis XVI était lié de confiance et amitié avec l’homme qui lui donnait contre la France ces conseils de folie et de meurtre. Qui sait s’il aurait pu contenir les fureurs déchaînées des émigrés et des princes ainsi aiguillonnés encore par des rois ? Mais lui-même était très préoccupé du problème qui avait suscité la Révolution, le problème financier. Comment la monarchie raffermie aurait-elle de l’argent ? La Révolution, en attendant le fonctionnement normal de ses budgets, s’alimentait par la vente des biens nationaux : mais la conscience religieuse et rétrograde du Roi lui ordonnait de restituer à l’Église son domaine. Ainsi une ressource immense échappait. Mais, en outre, qu’allaient devenir les porteurs d’assignats ainsi privés de leurs gages ? N’allaient-ils pas être exaspérés par leur ruine contre le pouvoir royal à peine restauré ? Ah ! comme la Révolution avait vu juste en saisissant les biens de l’Église et en les mettant tout de suite en circulation par les assignats ! Elle avait créé d’emblée de l’irréparable, de l’irrévocable et le roi s’ingéniait en vain à chercher une solution.

Il s’arrêta d’abord à l’idée très simple de faire banqueroute, puis, pour rassurer les porteurs d’assignats, l’Église les rembourserait jusqu’à concurrence d’un milliard, sur les biens qui lui auraient été restitués. À ce propos, le comte de Fersen consulte le baron de Breteuil, le 16 mai.